Conflit du Haut-Karabakh : les sites de suivi de l’activité aérienne, nouvelles cibles de la guerre de l’information
Alain CHARRET
Aujourd’hui, internet permet un accès à une multitude de sources permettant le recueil de renseignements dits « ouverts ». Parmi celles-ci figurent notamment les sites qui permettent le suivi de l’activité aérienne à travers le monde. Il est possible d’y suivre tous les vols commerciaux, mais également des vols plus sensibles, tels que les aéronefs militaires ou même les célèbres avions espions américains U-2 Dragon Lady ou encore les drones, armés ou non.
Ainsi, dans le cas du conflit en cours dans le Haut-Karabakh, il est possible de suivre des vols particulièrement intéressants. Par exemple quelques jours avant le début des affrontements, une activité inhabituelle de gros porteurs turcs de type A400M a pu être constatée. Ils ont effectué de nombreuses rotations à destination de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. De même plusieurs IL-76 azéris ont été observés effectuant des allers-retours entre une base située dans le sud d’Israël et Bakou. Sachant que l’État hébreu est non seulement un allié de l’Azerbaïdjan, mais qu’en plus il lui fournit de l’armement sophistiqué – tel que les fameux drones IAI Haropdits « kamikazes » -, il est aisé de deviner le contenu des cargaisons. Ces éléments à eux seuls incitent à penser que l’action de l’Azerbaïdjan était préméditée et qu’elle n’est pas la réponse à une provocation arménienne.
Un drone turc Bayraktar en route vers l’Arménie (30 septembre 2020)
L’exploitation des données fournies par ces sites spécialisés peut donc être très riche. C’est d’autant plus vrai que peu après le début du conflit, le plus populaire de ces sites, FlightRadar24, a fait l’objet de cyberattaques par déni de service (DDoS) qui ont considérablement perturbé son activité. Quelques temps plus tard, c’est un de ses concurrents, PlaneFinder qui a fait l’objet du même type d’attaque. On est donc tenté de faire le lien entre la publication de ces données sensibles et les tentatives de blocage des sites ; et soupçonner les différents protagonistes d’en être à l’origine. Cependant, les nations concernées ne sont pas tributaires de ces sites pour suivre l’activité aérienne de leurs ennemis potentiels. Elles disposent des ressources adaptées via leurs services de renseignement militaires et civils. Il faut donc chercher ailleurs.
Le libre accès à ces sites et leur simplicité d’emploi en font un outil très prisé des internautes et des journalistes. Ces derniers ont ainsi la possibilité de vérifier plus facilement les déclarations officielles des belligérants. La propagande qui est généralement de mise dans de telles situations s’en trouve ainsi fortement malmenée.
Concernant le conflit en cours dans le Haut-Karabakh, certaines sources indiquent que la Turquie a acheminé des militants pro-turcs de Libye vers Bakou afin de participer aux combats. Des allégations qui ont été immédiatement démenties par Ankara. Dans ce cas précis, le suivi de l’activité aérienne nous donne un précieux indice qui tendrait à confirmer cette version. En effet, le 29 septembre un Boeing 737 immatriculé en Libye et opéré par Buraq Air est parti de Tripoli (Libye) pour se rendre à Bakou. Il y a peu de chance qu’il s’agisse d’un vol touristique destiné à des Libyens voulant découvrir le charme de la capitale azerbaïdjanaise… La thèse de militants pro-turcs venant prêter main-forte aux Azéris est donc tout à fait plausible.
Vol d’un Boeing 737 Buraq Air 5A-DMG (29 septembre 2020)
Ainsi, ces sites sont donc devenus, malgré eux, de nouvelles cibles de la guerre de l’information.