Colombie : arrestation d’une des dix personnes les plus recherchées par le FBI
Alain RODIER
Les faits
Lundi 10 septembre, Diego Leon Montoya Sanchez (49 ans) – alias « Don Diego » ou « le seigneur de la guerre » ou « le cycliste » – l’une des dix personnes les plus recherchées par le FBI1, a été appréhendé par l’armée colombienne dans la région Valle del Cauca, au sud-ouest de la Colombie. Après de longues opérations menées par les services de renseignements colombiens – le Departemento Administrativo de Seguridad (DAS) – les autorités avaient obtenu l’autorisation judiciaire de perquisitionner l’hacienda Cañon de las garrapatas, une propriété de la famille Montoya qui couvre quelques 20 000 hectares. « Don Diego » a été arrêté alors qu’il se cachait dans les buissons des jardins de l’habitation principale, uniquement vêtu de ses sous-vêtements. Sa mère, un des oncles et trois autres personnes ont également été appréhendés au cours de l’opération.
Diego Leon Montoya Sanchez pourrait être extradé prochainement vers les Etats-Unis qui lui reprochent d’avoir « fabriqué et distribué de multiples tonnes de cocaïne en sachant parfaitement qu’une partie de cette drogue était destinée aux Etats-Unis ». En effet, le cartel del Norte del Valle fournirait 70% de la cocaïne exportée de Colombie en direction des Etats-Unis et de l’Europe.
Bogota lui attribue également la mort de plus de 1 500 personnes. Déjà en 1991, il aurait été personnellement à l’origine du massacre de plus de 100 paysans dans sa région natale de Trujillo. Montoya s’était rangé aux côtés des Milices d’autodéfense de Colombie (AUC) pour contrer la concurrence que représentaient les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) dans le domaine du trafic de drogue. C’est dans ce cadre qu’il aurait tenté – sans succès- de bénéficier de la loi d’amnistie proposée aux AUC par le président Alvaro Uribe.
Le cartel Del Norte del Valle
Le cartel colombien Del Norte del Valle opère dans la province de Valle del Cauca. Héritier du cartel de Cali, il est aujourd’hui l’Organisation criminelle transnationale (OCT) la plus puissante d’Amérique Latine. A la différence des défunts cartels de Medellin et de Cali, ses membres tentent de faire preuve d’une plus grande discrétion par souci de sécurité. De plus, son organisation est beaucoup moins centralisée que celle de ses prédécesseurs, ce qui complique notablement la tâche des enquêteurs. Revers de la médaille, des groupes du même cartel se livrent à des guerres intestines violentes pour le contrôle de territoires ou de marchés. Certains vont même jusqu’à dénoncer leurs concurrents aux forces de police2.
Par ailleurs, les missions d’acheminement de la drogue vers les Etats-Unis et l’Europe sont souvent sous-traitées à d’autres OCT, particulièrement mexicaines – par exemple par le fameux cartel du Golfe – ou équatoriennes. A New York, la drogue colombienne est majoritairement distribuée par des Mexicains appelés les L atin kings. Il n’en reste pas moins que le cartel DelNorte del Valle assure la production et la distribution de plus de 30 % de la cocaïne mondiale. Les autorités colombiennes estiment qu’au moins 800 tonnes de cocaïne et 10 tonnes d’héroïne quittent le pays chaque année !
Très brutal, le cartel DelNorte del Valle a déclaré que toute personne lui étant débitrice ou qui présentait un risque de sécurité devait être éliminée physiquement. Les crimes perpétrés dans ce cadre sont commis de manière particulièrement horrible, afin de servir d’exemple : tortures et décapitations en sont le lot commun.
Suivant le modèle de toutes les OCT modernes, ce cartel recycle l’argent sale grâce à l’entremise de sociétés pseudo-légales opérant dans l’agro-alimentaire, le bâtiment, les mines, l’industrie pharmaceutique, les taxis et les services, etc. Ce cartel se livre également à la corruption de fonctionnaires pour pouvoir mener ses activités en toute impunité. En particulier, des hauts gradés de l’armée ont été accusés récemment de lui avoir vendu des informations. Ces renseignements concernaient la position de navires militaires colombiens, américains et européens patrouillant au large des côtes colombiennes en vue d’intercepter des cargaisons de drogue. Des militaires auraient aussi donné des renseignements concernant des opérations dirigées contre le cartel.
Le cartel dispose d’une implantation internationale : il est présent à Aruba, au Costa Rica, en Equateur, au Panama, au Pérou, en Espagne, en Italie, au Vanuatu, au Venezuela, aux Bahamas, aux Îles vierges britanniques, aux Îles Caïman et aux Etats-Unis.
Les forces de sécurité ont déjà réussi à appréhender certaines grosses « pointures » du cartel :
- en octobre 2004, Gabriel Dario Puerto Parra;
- en mars 2005, Carlos Jose Ronayo – alias « Guacamayo » – le chef de la milice « Los Machos », une sorte de service des basses œuvres du cartel;
- en octobre 2005, Johnny Cano Correa . Il a été extradé vers les Etats-Unis le 22 septembre 2006 ;
- en juillet 2006, Eduardo Restrepo Victoria, alias « El Socio » ;
- fin octobre 2006, Orlando Sabogal Zuluaga, appréhendé par la Guardia Civil espagnole à Madrid.
Les arrestations se sont poursuivies en 2007 avec celle de Eugenio Montoya, le frère de Diego, en début d’année, puis celle de Juan Carlos Ramirez – alias « Chupeta » – le 20 août au Brésil. Luis Hernando Gomez Bustamante alias « Rasguno », un autre chef important du cartel a été extradé vers les Etats-Unis en juillet 2007, et a promis de collaborer avec la Drug Enforcement Administration (DEA). Il y a peut-être cause à effet entre cette repentance et l’arrestation de Don Diego.
Si la destination préférée des stupéfiants colombiens reste les Etats-Unis3, une partie est convoyée vers l’Europe via l’Espagne, où Barcelone serait en train de devenir une véritable plaque tournante. Pour la distribution sur le vieux continent, des accords auraient été conclus avec les mafias italiennes, albanaises, chinoises et des OCT issues des ex-pays de l’Est.
Que va-t-il se passer ?
L’arrestation de son leader est un coup très sévère pour le cartel Del Norte del valle. Mais le flambeau sera vraisemblablement repris par un des associés de Don Diego : Juan Carlos Ramirez Abadia, Carlos Arturo Patiño Respreto ou Carlos Alberto Renteria Mantilla.
Toutefois, il est très vraisemblable que les guerres intestines vont s’intensifier. Les fidèles de Don Diego vont vouloir, sinon le libérer, au moins se venger de sa capture en éliminant ceux qui y ont contribué, et plus particulièrement les taupes – leurs proches enfants y compris – qui l’ont vendu.
Wilber Alirio Valera, l’autre chef du cartel – avec qui Montoya était en conflit ouvert depuis 2004 – va tenter de profiter de l’occasion pour prendre définitivement la direction de l’organisation en éliminant ses fidèles. Cette guerre interne qui a déjà coûté la vie à plus de 150 personnes va certainement causer de nombreuses autres victimes. Valera qui avait perdu « la première manche » serait actuellement réfugié au Venezuela sous la protection du président Hugo Chavez.
- 1 La prime offerte par le FBI pour sa capture était de 5 millions de dollars.
- 2 Phénomène qui est inconcevable pour une mafia (italienne, albanaise, chinoise, etc.) pour qui, la loi du silence est un des piliers fondateurs. C’est là une des différences majeures entre une OCT et une mafia.
- 3 Où le prix de la drogue ne cesse de chuter ce qui laisse à penser que le flux s’est encore accru ces dernières années .