Chine : Xinjiang, le djihad oublié ?
Alain RODIER
Carte du Xinjiang présentant la répartition des ethnies.
Le bleu correspond aux Ouïghours, le rouge aux Hans et le jaune aux Kazakhs.
Le 22 mai, deux voitures de type SUV se sont précipitées sur le marché d’Urumqia, la capitale régionale du Xinjiang. Une douzaine de charges explosives étaient jetées par les portières, dans la foule, puis les deux véhicules prenaient la fuite. Le bilan est lourd : 31 morts (dont 4 des 5 assaillants) et 94 blessés, dont une majorité de Hans[1]. Cette action terroriste a ramené sur le devant de la scène la tension qui existe dans cette région chinoise depuis la création de la République populaire.
Un contexte historique complexe
En 1949, les populations hans ne représentaient que 6% des habitants du Xinjiang, province déjà sujette à l’influence panislamique et panturquiste très présente au sein des Ouïghours – apparentés aux Ouzbeks – et des Kazakhs.
Afin de régler le problème, le régime communiste se livra à une intense politique de « sinisation » du Xinjiang en y déportant des millions de Hans, malgré le statut d’autonomie accordé à cette province en 1957. Si bien, qu’au début du XXIe siècle, les Ouïghours ne comptaient plus que pour 45% de la population locale, contre 41% de Hans – surtout majoritaires dans les villes – et 7% de Kazakhs, sans compter quelques autres ethnies très minoritaires[2]. Certains des Hans déportés ont pu rentrer en Chine orientale, mais les anciens détenus politiques où de droit commun ont été forcés de s’y installer à l’issue de leur peine. Les tensions n’on cessé de croître entre les Ouïgours et les Hans, débouchant sur des soulèvements et des émeutes. Les velléités séparatistes ont repris après l’évacuation de l’Afghanistan par les Soviétiques en 1989, puis surtout l’indépendance des trois républiques voisines, le Tadjikistan, le Kirghizistan et le Kazakhstan. En effet, l’accès à l’indépendance de ces Etats a développé le sentiment séparatiste des Ouïghours. Parallèlement, l’islam sunnite a augmenté son influence politique sur les populations ouïghours via les mosquées et les écoles coraniques.
Les violences se sont alors multipliées, provoquant une riposte policière toujours plus importante. Les extrémistes musulmans ont profité de cette situation délétère pour y développer leurs thèses bien que les aspirations des populations soient plus d’ordre social, voire autonomiste, que religieux. En effet, les Ouïghours considèrent – souvent à juste titre – être délaissés par le pouvoir central au profit des populations hans.
Comme en Serbie, en Tunisie ou en Egypte, la fondation américaine National Endowment for Democracy (NED), financée majoritairement par le département d’Etat américain, a encouragé les Ouïghours exilés en soutenant en particulier le gouvernement du Turkestan oriental en exil, dont le « Premier ministre » est Anwar Yusuf Turani. Ce mouvement a été fondé à Washington en 2004, mais d’autres organisations de même nature sont présentes en Allemagne, en Suède, en Turquie et au Canada. Pékin les accuse régulièrement d’être en contact avec Al-Qaida.
Depuis 2013, les actions à caractère terroriste se sont encore intensifiées. Ainsi, le 31 octobre, une voiture explosait sur la place Tienanmen tuant cinq personnes dont les trois occupants, originaires du Xinjiang. Plus grave encore, un commando d’au moins cinq activistes[3] attaquait, le 1er mars, la gare de Kun Ming à l’aide d’armes blanches, causant la mort de 29 personnes et en en blessant 143 autres. Ces deux actions étaient revendiquées par Abdullah Mansour, l’émir du Mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO[4]). Ce dernier aurait succédé à Emeti Yakuf, tué en 2012 au Pakistan.
Un double attentat suicide à la gare d’Urumqi survenait ensuite le 30 avril, à l’issue du voyage officiel de trois jours du président chinois Xi Jinping au Xinjiang, ne tuant heureusement qu’une personne (en plus des deux kamikazes), mais en blessait 79 autres. Déjà, la veille de la visite, trois officiels han avaient été sauvagement poignardés alors qu’ils participaient à une partie de pêche sur le lac de Karakule. Une autre attaque au couteau avait lieu le 6 mai dans la gare du Guangzhou, faisant six blessés, dont l’agresseur.
Le Mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO)
Créé en 1997 par Hasan Mahsum – qui sera tué par les forces pakistanaises en 2003 – le MITO se confond vraisemblablement avec le Parti islamique du Turkestan, (PIT), appellation apparue en 2008. Ce groupe reconnu comme terroriste par les Nations Unies serait fort de moins d’un millier d’activistes. Sa base arrière serait implantée au Nord-Waziristan, dans les zones tribales pakistanaises. Al-Qaida et le Mouvement islamique d’Ouzbekistan (MIO) ont participé à la formation de ses membres. 22 combattants ouïgours ont d’ailleurs été capturés par les Américains en août 2002, en Afghanistan. Ils ont ensuite été envoyés à Guantanamo avant d’être expulsés, libres de toute charge, vers l’Albanie, les Bermudes, Palau, la Suisse et le Pakistan.
Si la direction d’Al-Qaida n’a pas mentionné la naissance de ce mouvement au, Al-Zawahiri cite désormais le Turkestan oriental comme une terre de djihad. En échange, selon Pékin, des activistes ouïghours, et même des Hans convertis à l’islam, se trouveraient aujourd’hui en Syrie. Cette affirmation n’a pas été confirmée à ce jour. Par contre, des activistes du MITO/TIP se trouveraient bien aux côtés des taliban dans les provinces de Kunar et du Nuristan, en Afghanistan. Il est vraisemblable qu’ils sont intégrés à des unités du MIO.
Les autorités chinoises soulignent le rôle majeur d’internet dans la propagande, le recrutement et la formation d’activistes au Xinjiang. D’ailleurs, le PIT possède sa propre « société de production » : Islam Awazi. En conséquence, le web est extrêmement surveillé et permet aussi aux forces de sécurité de mener régulièrement des arrestations de suspects.
L’emploi d’armes blanches et d’explosifs artisanaux au Xinjiang démontre également que les terroristes ne parviennent pas, pour l’instant, à se fournir en armes à feu et en charges explosives militaires. Cela est du à la surveillance étroite du territoire chinois par le régime communiste où la possession illégale d’une arme à feu peut être passible de la peine de mort..
Depuis 2011, le mufti du MIO, Abou Zar al-Burmi, un Rohingya birman, délivre depuis le Waziristan des prêches enflammés contre la Chine. Par exemple, en septembre 2013, il proclamait qu’il était du devoir de tout musulman d’enlever et de tuer des Chinois et d’attaquer des sociétés chinoises. Bien sûr cette menace s’étend à tous les Chinois présents de par le monde, en particulier leurs nombreuses sociétés implantées à l’étranger. Cet appel a été relayé par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) qui demande à ses militants de s’en prendre aux intérêts et aux ressortissants chinois, nombreux en Algérie, particulièrement dans le secteur de la construction.
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Il est à craindre qu’après le retrait des forces américaines d’Afghanistan fin 2014, les activistes du MITO/PIT, qui sont actuellement accaparés par la guerre dans ce pays, ne profitent de leur liberté de mouvement retrouvée pour s’engager davantage en Chine. Ce ne seront plus alors des bombes artisanales et des armes blanches dont ils feront usage, mais de matériels beaucoup plus létaux.
Mais pour Pékin, le Xinjiang est une région économiquement vitale – incomparablement plus que le Tibet – pour deux raisons : c’est une voie de transit pour les échanges avec l’Asie centrale (voies ferrées, autoroutes, pipelines, etc.) ; et elle est extrêmement riche en ressources naturelles dont l’économie chinoise est dépendante (hydrocarbures, charbon, minerais, or, uranium, etc.). Ce n’est pas un hasard si cette région est surnommée la « nouvelle frontière », comme l’était en son temps le Far West américain. La détermination des autorités chinoises à en garder le contrôle est absolue. Et pour ce faire, elles n’hésitent pas à exagérer sensiblement la menace représentée par l’islam radical. Elles avaient ainsi fait état d’un projet d’attentat visant les Jeux olympiques de 2008, sans jamais en apporter la preuve directe[5]. Il est vrai que le PIT avait délivré une vidéo menaçant le bon déroulement des Jeux.
L’objectif pour Pékin est d’obtenir le soutien, ou au moins la neutralité, des grandes nations au sujet des mesures sécuritaires en vigueur au Xinjiang. Moscou qui est aussi concerné par la menace islamique fait, à ce titre, preuve d’une grande « compréhension ». C’est un paradoxe car, du temps de la splendeur du communisme, l’URSS soutenait discrètement les séparatistes du Xinjiang. Toutefois, le « grand jeu » que mène Washington depuis des années, qui a conduit aux bouleversements en Europe centrale et orientale au cous des années 1990-2008 et aux révolutions arabes de 2010-2012, peut aussi encourager les troubles futurs au Xinjiang, histoire de tenter d’affaiblir Pékin.
Par contre, il est intéressant de constater qu’aucun djihadiste étranger n’a été détecté au Xinjiang à ce jour. Cela semble donc rester, pour l’instant, un problème interne à la Chine même si quelques poignées de combattants ouïghours sont présentes sur des terres de djihad extérieures. Le problème reste leur retour au pays.
- [1] Principale ethnie de Chine.
- [2] Huis, Kirghizes et Mongols.
- [3] Quatre étaient tués par les forces de l’ordre. Le cinquième, fait prisonnier, avouait que le groupe ayant échoué à sortir du pays pour rejoindre une terre de djihad (Syrie ?), avait décidé de mener une action sur place.
- [4] East Turkestan islamic movement (METIM), en anglais.
- [5] Début mars 2008, deux « activistes » avaient été tués et quinze autres arrêtés au Xinjiang. Le 4 août, deux assaillants armés de machettes avaient attaqué des gardes frontières faisant leur footing dans la localité de Kashgar et en avaient tué seize. Personne ne sait si cette attaque était terroriste comme le déclarent les autorités, ou purement criminelle.