Chine : la disgrâce de Bo Xilai, le « monsieur propre » de Chongqing
Alain RODIER
Bo Xilai et son épouse, Gu Kaila
Le 18e Congrès du Parti communiste chinois (PCC) va élire à l'automne les trois cents membres du Comité central. Ce dernier va désigner à son tour un nouveau Politburo de vingt-cinq membres qui aura en charge les affaires de l'Empire du milieu. Ce terme de « milieu » doit être pris au sens propre comme au figuré. En effet, la criminalité organisée chinoise constitue une menace planétaire de tout premier ordre en raison de l'immensité de ses moyens humains et financiers. Un autre surnom révélateur est parfois donné à la Chine, celui de la « République des malfrats ». Cette dénomination un peu péremptoire provient du fait que nombre de politiques et de fonctionnaires chinois sont corrompus, notamment par des personnes ayant des liens avec le crime organisé. Le PCC tente bien d'endiguer ce phénomène, à grand renfort de campagnes de presse, mettant en avant la mise en accusation de responsables parfois placés à des postes importants. Mais il semble que ce ne soit que les cas jugés trop « voyants » qui sont ainsi mis en exergue. Ceux qui parviennent à se montrer plus discrets ne sont pas inquiétés, surtout si leur action favorise le développement « harmonieux » de l'économie chinoise. Les autorités savent alors détourner pudiquement les yeux des profits illégaux gagnés par ces « ripoux aux intentions patriotiques ».
A ce titre, le cas de Bo Xilai est exemplaire. Ce dernier, maire et « monsieur propre » de la mégapole de Chongqing, figure montante du PCC a été limogé en mars 2012. La question se pose : qui gênait-il ou était-il un ripoux comme le prétendent les autorités ?
Un ancien garde rouge devenu le « monsieur propre » de la mégapole de Chongqing
Fils aîné de Bo Yido, un des membres fondateurs du Parti communiste chinois, lui-même ancien garde rouge convaincu et membre du 16e Comité central du PCC depuis 2002, il a occupé les fonctions de ministre du Commerce extérieur de février 2004 à novembre 2007. En tant que gouverneur de la province de Liaoning et maire de la mégapole de Chongqing – forte de 34 millions d'habitants -, il a développé une image décontractée en opposition avec l'attitude guindée habituellement rencontrée chez les officiels chinois. Il a géré sa circonscription en rétablissant des programmes sociaux égalitaires pour la classe ouvrière à l'image de ses anciennes convictions de garde rouge pur et dur.
Surtout, il a acquis une réputation d'incorruptible, n'hésitant pas à s'attaquer frontalement aux triades, ces sociétés secrètes qui dominent la vie criminelle chinoise. A son initiative, pas moins de 4 781 suspects – dont 19 parrains présumés -, des officiels du PCC, des fonctionnaires et des policiers ont été arrêtés lors de l'opération baptisée « Frapper fort » (Yan da). Le 6 novembre 2009, 327 d'entre-eux ont été inculpés par la justice. De nombreuses condamnations ont été prononcées au cours des procès ayant eut lieu du 12 octobre 2009 au 14 avril 2010. L'autorité la plus élevée qui a été condamnée pour faits de corruption – et exécutée en juillet 2010 – n'est autre que l'adjoint au chef de la police locale. Xie Caiping, une femme qui dirigeait un réseau criminel local – et soupçonnée d'entretenir seize « gigolos » -, a écopé pour sa part de dix-huit années d'incarcération, peine ramenée à treize ans car la condamnée a « avoué ses crimes ». Après coup, des policiers ayant participé à cette affaire ont été accusés de mauvais traitements, voire d'actes de torture.
La chute de Bo Xilai provoquée par son adjoint
Le sort de Bo Xilai a basculé suite aux retombées de l'affaire Wang Lijun, son adjoint et vice-maire de Chongking. Il était surtout le chef du Bureau de la Sécurité publique (Public Security Bureau/PSB), la police locale. Il avait une réputation de superflic combattant courageusement les triades. Au cours de sa carrière, il a même été blessé par balles dans l'exercice de ses fonctions. Sa popularité était si grande qu'il a fait l'objet d'une série télévisée intitulée « L'esprit de la police de fer et de sang ».
Le 6 février 2012, après avoir été écarté quelques jours plus tôt de son poste pour occuper un placard discret, il aurait tenté de demander l'asile politique au consulat des Etats-Unis de Chengdu, apparemment craignant pour sa vie. En effet, il aurait accumulé des preuves selon lesquelles son chef, Bo Xilai, était en fait un « ripoux ». Wang le qualifie même dans un document écrit de « plus important gangster de Chine ». Toutefois, Lijun a quitté le consulat américain de son plein gré une trentaine d'heures après son arrivée. Il a aussitôt été arrêté pour trahison par les policiers qui entouraient la représentation diplomatique. Une autre version circule sur ses motivations. En fait, les enquêtes en cours auraient commencé à faire planer des doutes de corruption sur sa propre personne. Bo Xilai aurait été informé de l'évolution des investigations et s'apprêtait à le faire arrêter.
Wang Lijun, le chef de la police de Chongking.
Eliot Ness ou « ripoux » ?
Toujours est-il que Bo Xilai a été à son tour limogé en mars. Accessoirment, il est accusé avoir fait écouter les conversations téléphoniques du président Hu Jintao alors de passage à Chongking[1] ! Cela fait désordre à quelques mois du 18e Congrès du PCC.
A noter que Xu Ming, un milliardaire de Dalian, fondateur du groupe Shide et proche de Bo Xilai, aurait été arrêté juste avant la destitution de ce dernier. Il aurait financé les études de Bo Gua Gua, le fils de Bo Xilai, à Harvard (Etats-Unis) et en Grande-Bretagne. Xu Ming serait aussi soupçonné d'avoir truqué des matchs de football pour toucher de gros lots dans des paris sportifs.
Dernier fait troublant : l'implication de Gu Kailai, l'épouse de Bo Xilai et avocate de renom, dans le décès suspect de l'homme d'affaires britannique, Neil Heywood, en novembre 2011, dans sa chambre d'hôtel de Chongking. Ce dernier avait été retrouvé sans vie, ayant, selon l'enquête, ingurgité trop d'alcool. Son corps a été incinéré rapidement sans subir d'autopsie. Or, selon ses proches, il ne buvait jamais d'alcool ! Un différent financier entretenu avec l'avocate serait la cause de son décès pour le moins suspect. Celle-ci a été arrêtée.
Bo Xilai a été démis de toutes ses fonctions locales le 22 mars 2012, puis a été exclu en avril du Comité central ainsi que du Politburo. Que s'est-il passé ? Ses convictions néo-maoïstes souhaitant l'arrivée d'une nouvelle révolution culturelle ont-elles fini par déplaire à la classe dirigeante ? Sa campagne « Mains propres » qui a révélé la corruption existant au sein des fonctionnaires et des membres du PCC a-t'elle indisposé à haut niveau ? Les triades ont-elles voulu arrêter cet « incorruptible » avant qu'il ne monte plus haut dans la hiérarchie et ne créé d'autres dégâts irréparables ? En effet, il était pressenti pour occuper les fonctions de secrétaire de la commission des aAffaires politiques et juridiques au sein du futur Politburo du PCC, poste aujourd'hui occupé par Zhou Yongkang. Cette commission coiffe de fait toutes les forces de police chinoises. La vérité sera difficile à connaître mais ses trois raisons en font peut-être partie.
- [1] Le système d'écoutes et de surveillance du net de la ville de Chongking a été mis en place par Wang Lijun. Il semble qu'il dépassait largement le cadre de la lutte contre la criminalité et servait les intérêts politico-économiques du maire Bo Xilai.