Bulgarie : attentat contre des touristes israéliens, suite d’une longue série ?
Alain RODIER
Le bus montre que l’explosion a bien eu lieu au niveau des soutes avant-droit.
Si la déflagration était intervenue à bord de la cabine, le toit aurait été partiellement soufflé.
Le mercredi 18 juillet 2012, un homme d'une trentaine d'années habillé en touriste et arborant une perruque aux cheveux longs s'est fait exploser devant la soute à bagages d'un bus sur le parking de l'aéroport de Bourgas en Bulgarie. Il aurait utilisé environ trois kilos de TNT. Plusieurs bus transportaient 154 citoyens israéliens venus passer des vacances en Bulgarie sur la « Côte du Soleil », une des destinations privilégiées par l'Etat hébreu depuis que les relations se sont dégradées avec la Turquie. Deux bus ont été endommagés par l'incendie qui a suivi la déflagration. 5 Israéliens, le conducteur bulgare et le kamikaze sont décédés dans l'explosion. 32 autres personnes ont été blessées dont trois très gravement.
Le supposé kamikaze était en possession d'un faux permis de conduire américain délivré dans l'Etat du Michigan au nom de Jacque Felipe Martin, demeurant 103 France Street, Bâton Rouge. LA 70802 en Louisiane.
Le permis de conduire, les photos et les croquis post-mortem du supposé kamikaze laissent penser qu'il s'agit bien de l'individu qui a été filmé par les caméras de surveillance de l'aéroport.
L'intéressé, qui était présent dans le pays depuis plusieurs jours, aurait résidé, au moins les 12 et 13 juillet – et peut-être le 16 juillet-, à l'hôtel Perfect, à Varna, où il aurait présenté un passeport portant le même nom (Jacque Felipe Martin) que sur le permis de conduire retrouvé dans les décombres du bus. Il était accompagné d'une femme, peut-être une complice. Il serait entré dans le pays par la Roumanie et parlait russe. Son apparence était de type caucasien. Il aurait été pris en charge en taxi à Ravda pour rejoindre Pomorie.
L'hôtel Perfect de Varan où serait descendu le « kamikaze » et sa campagne.
Les nuitées coûtent entre 75 et 95 euros.
Toutefois, plus l'enquête progresse, plus des doutes apparaissent. Le corps du défunt expertisé par les médecins légistes ne correspondrait pas à la silhouette fine de l'homme pris en vidéo dans l'aérogare. Cependant, sachant que seuls les membres et la tête du cadavre ont été retrouvés, le torse ayant été littéralement éparpillé par l'explosion, cette version peut être sujette à caution.
La notion même de « kamikaze » est également remise en question. L'homme était-il conscient qu'il transportait des explosifs où lui avait-on fait croire qu'il s'agissait de la drogue ? Il aurait peut-être agi en tant que « mule » contre monnaie sonnante et trébuchante, ne se doutant pas un instant que l'explosion serait commandée à distance et qu'il y perdrait la vie. Ce qui semble avéré, c'est que la déflagration n'a pas eu lieu au moment opportun. En effet, elle s'est produite alors que le suspect se disputait avec deux touristes israéliens qui chargeaient leurs bagages dans la soute du bus. Malheureusement, ces deux témoins ne pourront rien dire car ils ont été tués par l'explosion. C'est peut être cette dispute qui est à l'origine du déclenchement prématuré de la bombe. En effet, si cette dernière avait été activée lorsque le véhicule était rempli, le nombre de victimes aurait été beaucoup plus élevé.
Les autres pistes
Un témoignage fait état d'un deuxième individu de type moyen-oriental, parlant un mauvais anglais avec un accent arabe et ayant des cheveux bruns coupés très courts. Il aurait tenté de louer une voiture le 15 juillet à Pomorie (endroit où s'est rendu le « kamikaze ») pour une durée de quatre jours. Aucune n'étant disponible à cette date, il est revenu le lendemain, mais le loueur, un ancien officier de police ayant eu des doutes sur la véracité du permis de conduire présenté par l'individu, à rejeté sa demande. Ce suspect a alors récupéré ses papiers avant de s'en aller calmement. Il avait proposé de payer en liquide en exhibant une liasse de billet de 500 euros. L'enquête a démontré qu'il ne s'agit pas de la personne tuée lors de l'attentat. La veille de l'attentat, ce deuxième suspect aurait été localisé à Ravda, une station balnéaire de la mer Noire, située à 20 kilomètres au nord de Bourgas.
Un troisième homme serait soupçonné d'avoir accompagné (ou guidé ?) le « kamikaze » à Bourgas depuis Varna. Il s'agirait d'une personne possédant des papiers américains au nom de David Jepson. Son portrait robot ressemble étrangement à un citoyen algéro-suédois-finlandais du nom de Mehdi Muhammed al-Ghazali. Ce dernier aurait passé deux ans à Guantanamo de janvier 2002 à juillet 2004. Ce troisième suspect aurait été localisé à l'aéroport de Varna, fin juin. Dans un premier temps, il a été soupçonné d'être le kamikaze mais l'autopsie et l'analyse ADN ont infirmé cette thèse.
Le portrait robot (en haut à droite) du troisième suspect
est très ressemblant avec l'ancien détenu de Guantanamo.
Qui est derrière cet attentat ?
Ce qui semble avéré, c'est qu'une équipe opérationnelle était présente sur le terrain. Selon les autorités bulgares, elle aurait passé entre quatre jours et un mois dans le pays. Elle aurait respecté des règles élémentaires de la vie clandestine, à savoir que chaque membre serait venu de pays différent de l'espace Schengen et aurait séjourné dans des villes distinctes sans rencontrer ouvertement les autres. Cela n'exclut pas qu'il y ait eu des contacts clandestins respectant les us et coutumes en vigueur au sein des services secrets.
Il semble que les trois suspects se trouvaient tous à l'aéroport de Bourgas le jour de l'attentat. L'un transportait les explosifs, un deuxième était vraisemblablement chargé de déclencher l'explosion et le troisième était en couverture. Une fois l'opération effectuée, ces activistes vivants auraient été exfiltrés, notamment par la Turquie. Ce dernier pays, véritable nid d'espionnage, a souvent servi d'étape pour des personnes qui avaient quelque chose à se reprocher – en particulier à des agents iraniens après l'assassinat de Chapour Bakhtiar à Suresnes, le 6 août 1991. L'application de ces savoir-faire indique sans l'ombre d'un doute qu'un service spécial est impliqué. Les personnes impliquées ont montré leur bon niveau de professionnalisme, l'affaire était préparée soigneusement. Les moyens financiers dont bénéficiaient les exécutants étaient importants : la liasse de billets de 500 euros aperçue par le loueur de voitures de Pomorie et l'hôtel de luxe où sont descendus le « kamikaze » et sa compagne en témoignent.
Les autorités israéliennes pointent du doigt le Hezbollah libanais qui sert de bras armé à la force Al-Qods des Gardiens de la Révolution iraniens, commandée par le major-général Qassem Soleimani. Ce « service action » iranien est placé directement sous l'autorité du Guide suprême de la Révolution, l'Ayatollah Ali Khamenei. Si l'enquête vient confirmer cette hypothèse, cela signifiera clairement que les plus hautes instances de l'Etat iranien ont donné l'ordre de déclencher cette opération terroriste, les initiatives individuelles étant malvenues au royaume des mollahs.
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Les tentatives d'attentats contre des Israéliens à l'étranger se multiplient depuis le début de l'année (cf. annexe). Si certaines ont pu être déjouées, malheureusement d'autres ont réussi. Cette stratégie iranienne a deux objectifs : venger les affronts faits par les opérations homo menées par le Mossad contre des ingénieurs et des militaires iraniens participant au programme nucléaire du pays ; et tenter d'étendre le conflit qui se déroule en Syrie, grand allié de l'Iran, face à Israël. En effet, une diversion est utile pour empêcher toute intervention occidentale dans la région.
En ce qui concerne ces opérations clandestines, une différence notable existe toutefois : l'Etat hébreu s'en prend à des responsables scientifiques et militaires qui savent très bien ce qu'ils font et qui se doutent des risques encourus. De plus, ils bénéficient généralement d'un dispositif de protection rapprochée. Par contre, Téhéran s'attaque de préférence à des civils sans défense (ce que est qualifié par les services de « cibles molles » car faciles à atteindre) ce qui permet de qualifier leurs opérations d'actions terroristes. Quand l'Iran tente de s'en prendre à un « officiel », l'attentat échoue lamentablement ou atteint des cibles collatérales. A l'évidence, le professionnalisme des agents du Mossad est nettement supérieur à celui de leurs homologues iraniens ou des Libanais pilotés par Téhéran.
Il est probable que la violence continuera à s'étendre encore dans l'avenir. En effet, un autre suspect a été identifié lors de l'attentat de Bourgas. Il s'agirait d'un Américain du nom de David Jefferson – vraisemblablement une fausse identité – qui aurait quitté précipitamment le pays après l'explosion du bus. Les autorités israéliennes craignent que cette personne ne tente quelque chose lors des Jeux olympiques de Londres.
Alain Rodier
Août 2012
ANNEXE
LISTE DES ATTENTATS ANTI-ISRAELIENS DEPUIS DEBUT 2012
Janvier
Azerbaïdjan. Trois activistes sont appréhendés par la police azerbaidjanaise alors qu'ils préparent une attaque contre un rabbin et un professeur employés par l'école juive Chabab Or Avner de Bakou. Rasim Aliyev, Ali Huseynov et Balaqardash Dadashov venaient de recevoir des armes d'un agent iranien lorsqu'ils ont été arrêtés. C'est Dadashov, un Azéri vivant en Iran qui serait à la tête du commando. Il aurait payé ses deux complices 150 000 dollars.
Février
Bulgarie. Les services de renseignement bulgares informent leurs homologues du Mossad que le Hezbollah serait en train de préparer un attentat contre des touristes venant passer des vacances dans le pays. L'attentat devait se dérouler en février à la date anniversaire de la mort d'Imad Mughnieh, tué le 12 février 2008, opération homo attribuée au Mossad.
Inde. Le 13 février, Houshang Afsar Irani, un Indien d'origine iranienne, place une bombe magnétique sur le véhicule qui transporte l'épouse de l'attaché de défense israélien en poste à New Delhi. Cette dernière est gravement blessée par l'explosion. Cet activiste actuellement recherché par la police était en contact avec Sedaghatzaddeh Masoud, un chef opérationnel du Hezbollah libanais. Syed Ahmad Kazmi, un journaliste freelance qui a facilité l'opération terroriste, a été appréhendé par la police de Delhi. Il aurait reçu 5 500 dollars de la part d'un certain Ali Sadr Mehdian lors de deux voyages effectués à Téhéran en 2011. Sur sa demande, il aurait ensuite rencontré Irani pour mettre au point l'attentat.
Thaïlande. Trois Iraniens sont arrêtés après une explosion accidentelle alors qu'ils préparaient des attentats terroristes contre des intérêts israéliens.
Géorgie. Des connexions sont découvertes entre les attentats anti-israéliens survenus en Géorgie, en Inde et en Thaïlande.
Mars
Azerbaidjan. 22 Azéris sont arrêtés, soupçonnés préparer des attentats contre les représentations diplomatiques israélienne, américaine ainsi que contre des firmes occidentales. Ces activistes auraient été spécialement entraînés par les pasdarans.
Avril
Inde. Un citoyen iranien âgé de 40 ans, Hamid Kaskouli, qui est « étudiant » à l'université de Pune, est expulsé car il est soupçonné espionner les intérêts israéliens, notamment le centre juif Chabab à Koregaon Park et la synagogue Rasta Peth. Il sera découvert plus tard qu'il appartient au Vevak, le ministère du renseignement iranien.
Mai
Turquie. Le Mossad avertit ses homologues turcs du MIT qu'une sérieuse menace pèse sur les touristes israéliens se rendant dans ce pays. Une alerte est lancée à ce sujet en Israël.
Juin
Kenya. Deux citoyens iraniens, Ahmad Abolfathi Mohammed et Mansour Mousavi, sont arrêtés le 19 juin à Nairobi pour avoir apporté quinze kilos d'explosif à Mombasa. Soupçonnés appartenir à la force Al-Qods, il auraient avoué préparer des attentats contre les intérêts israéliens, américains, saoudiens et britannique au Kenya.
Juillet
Chypre. Un Libanais de 24 ans est arrêté par la police chypriote avec un passeport suédois. Il aurait avoué effectuer des reconnaissances de cibles potentielles israéliennes. Il avait en sa possession des informations concernant les vols aller-retour à destination de l'Etat hébreu ainsi que les horaires et les itinéraires de bus de touristes israéliens.
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