Brésil : situation sécuritaire à l’automne 2008
Alain RODIER
Si la criminalité a toujours existé au Brésil, ce n'est que fin 2000 que d'importants réseaux de narcotrafiquants internationaux ont été mis à jour. Ils réunissent des truands de bas étage, des policiers véreux[1], des hommes d'affaires, des magistrats et des hommes politiques corrompus. Il faut reconnaître que cet attrait est dû au fait que le Brésil est devenu le deuxième pays au monde pour la consommation de la cocaïne et que la prostitution, particulièrement infantile, y est endémique.
Dans les favelas, la cocaïne et la marijuana sont vendues au grand jour. Les autorités estiment que tous les mois, environ 4 tonnes de cocaïne et 8 tonnes de marijuana qui passent par les favelas. 20% sont consommées sur place et le reste est expédié vers l'Europe et les Etats-Unis.
Une violence en pleine croissance
Le Brésil est un des pays les plus violents de la planète avec environ 40 000 meurtres par an ! Et pourtant, la vente des armes individuelles y est sévèrement réglementée.
La violence est surtout concentrée dans les mégapoles où des millions de miséreux s'entassent dans les favelas dont certaines sont devenues des zones grises. En 2007, dans la seule ville de Rio, 1 260 personnes ont été tuées par la police lors d'affrontements avec la police, soit 18,5% de plus qu'en 2006. Le gouvernement a révélé au début 2008 qu'entre 1996 et 2006, 465 000 personnes auraient été tuées lors de violences.
Après les villes de Sao Paolo et de Rio de Janeiro, ce sont celles de l'Etat d'Amazonas qui sont les plus dangereuses. La pègre s'y livre particulièrement au trafic de matières premières, essentiellement du bois, n'hésitant pas à faire exécuter les gêneurs par des tueurs à gages.
Les organisations criminelles brésiliennes
Quatre organisations criminelles transnationales (OCT) appelées localement des « factions » dominent la scène criminelle. Leurs méthodes d'action s'inspirent de celles des groupes d'extrême gauche sud-américains très actifs dans les années 1980.
– La plus célèbre est le Comando Vermehlo (« Commando rouge » ou CV), implantée dans la région de Rio de Janeiro. Son fief principal est la favela da Grota[2]. Cette organisation a vu le jour en 1979, dans le pénitencier d'Ilha Grande. Son chef historique, Luis Fernando da Costa – alias Fernadiho Beira Mar (FBM) – a été appréhendé en 2001 en Colombie alors qu'il négociait avec les FARC l'échange de cocaïne contre des armes[3]. Son arrestation a amené l'inculpation d'un chef local des FARC pour trafic de stupéfiants : Tomas Medina, alias El Negro Acacio. Da Costa continue de gérer son organisation depuis la prison brésilienne de Bangu I où il est incarcéré. Une guerre sanglante l'oppose aux deux clans rivaux qui lui disputent la suprématie dans les favelas de Rio. Il faut dire que l'intérêt est de taille : les activités criminelles à Rio rapporteraient la bagatelle de 8 millions d'euros par mois !
– Une autre OCT majeure est le Primeiro Comando da Capital (PCC), présent dans l'Etat de Sao Paulo. Elle a vu le jour en 1992 dans le pénitencier de Carandiru, suite à une mutinerie. La plupart de ses dirigeants sont incarcérés et environ 6 000 membres du PCC sont actuellement en prison. Son principal leader, Marcos Willians Herbas Camacho – alias « Marcola » – âgé de 39 ans, a été condamné à 44 années d'emprisonnement pour attaques de banques. Les autres responsables du PCC incarcérés sont : Julio César Guedes Moraes, Sandro Henrique Silva Santos, Jose Marcio Felicio « Geleiao », Augusto Roris da Silva, José Carlos Rabelo, etc.
Néanmoins, cette organisation criminelle reste très virulente. Elle a de nombreuses opérations à son actif : une insurrection dans toutes les prisons de la région de Sao Paolo en mai 2006 ; l'assassinat de deux importants magistrats – Antonio Machado Dias et Alexandre Martins de Castro – en 2003 ; l'attaque de plus de 50 commissariats de police en novembre 2003[4] ; une tentative d'attentat à la bombe dirigée contre la Bourse de Sao Polo en 2002 ; et une révolte simultanée dans 29 prisons de l'Etat de Sao Paulo en 2001.
A noter que le PCC entretient les meilleurs rapports avec le Comando Vermehlo, chaque organisation ayant défini avec soin son territoire. Par contre, dans l'Etat de Sao Paolo, une lutte acharnée a lieu contre le « Commando révolutionnaire brésilien ».
– La troisième, le Terceiro Comando est dirigé par Robertinho De Lucas et Celso Luis Rodrigues, depuis l'assassinat de son chef Ernaldo Pinto de Medeiros et de trois de ses lieutenants, par FBM en 2002, dans la prison de Bangu I.
– Enfin la quatrième est le Commando révolutionnaire brésilien.
A côté de ces OCT, il existe depuis des dizaines d'années une myriade de petits gangs indépendants qui tiennent des petits quartiers de favelas. Ils se livrent à une guerre sans merci pour maintenir leur suprématie sur leurs territoires.
Activités des OCT brésiliennes
Sur le plan international, la pègre brésilienne entretient des liens séculaires avec ses homologues colombienne, mexicaine, bolivienne, paraguayenne et surinamienne. Progressivement, les OCT brésiliennes ont noué des contacts avec leurs homologues d'Italie, de l'ex-URSS[5] et, plus récemment, avec les triades chinoises[6]. Enfin, fait qui vient d'être découvert récemment, certains criminels entretiendraient des liens avec Téhéran. En effet, des rumeurs laissent entendre que plusieurs d'entre eux auraient séjourné au Liban ou en Iran pour y subir une formation aux méthodes terroristes, particulièrement dans le domaine de la mise en œuvre d'explosifs.
Les activités internationales concernent les trafics de drogue, d'armes, de fausse monnaie, d'espèces protégées (végétales et animales) et d'êtres humains. Dans ce dernier domaine, une des spécificités du Brésil est la prostitution de quelques 500 000 enfants, ce qui classe ce pays en deuxième place après la Thaïlande pour ce type d'activité criminelle.
La situation géographique du Brésil favorise les différents trafics. Ainsi, la frontière commune de 1 600 kilomètres avec la Colombie, mais aussi avec le Venezuela et la Bolivie, facilite les échanges avec les trafiquants de ces pays. La Colombie a longtemps été le premier narco-Etat de la région, le Venezuela est le principal point de départ de la cocaïne colombienne vers l'Europe, et la Bolivie est tombée aux mains des « Cocaleros ». Ce contexte favorable va permettre aux OCT brésiliennes de s'internationaliser davantage.
Pourtant, les forces armées brésiliennes bombardent régulièrement des pistes d'atterrissage clandestines implantées dans la jungle amazonienne utilisées pour acheminer la drogue. De plus, depuis le 17 octobre 2004, tout appareil pénétrant dans l'espace aérien brésilien sans s'identifier peut être abattu à vue. Mais cela ne suffit pas.
Sur le plan local, un phénomène inquiétant est le développement des vols en zone urbaine, notamment à Rio de Janeiro, qui est le plus souvent le fait de bandes d'adolescents (membres de ces OCT ou « indépendants ») qui n'hésitent pas à s'en prendre aux touristes, même dans les quartiers les plus protégés. S'ils rencontrent une résistance, ils n'hésitent pas employer la violence voire à assassiner les récalcitrants.
Les « kidnapping express » se développent également dans les principales villes du pays, les victimes devant fournir sous la contrainte un maximum d'argent : retraits bancaires, bijoux et autres valeurs. Très souvent, la victime est assassinée après avoir donné tout ce qu'elle pouvait. C'est le sort qu'a connu Armando Giancoli Filho, le maire-adjoint d'Ibiuna, mi-novembre 2004. La représentante de la banque portugaise Tamara Pereira das Chagas, ainsi que le représentant de la société Panama Ailton Araujo et son épouse ont eu plus de chance en décembre de la même année, puisqu'ils ont été libérés. Les familles de célèbres joueurs de football ont connu le même sort en 2005-2006. Le racket, inspiré de l'« impôt révolutionnaire » fait également partie des activités des OCT brésiliennes.
Des OCT qui défient les forces de l'ordre
Le 9 avril 2008, une guerre des gangs particulièrement violente a embrasé la mégapole brésilienne. Divers clans ont tenté de prendre le contrôle du trafic de drogue dans les favelas de Rio de Janeiro. La ville a littéralement été coupée en deux durant tout le week-end, en raison des affrontements armés qui ont causé la mort d'au moins trois personnes innocentes, tuées par des balles perdues[7]. Le 12 avril, plus de 1 000 policiers, dirigés par le colonel Relato Hottz, de la police d'Etat de Rio, ont investi les favelas de Rocinha et Vigidal afin de faire cesser les combats. Une partie de population de ces zones a fui dans les forêts avoisinantes. Devant l'ampleur prise par les événements, le gouverneur Rosihna Matheus et le maire de Rio, César Mia, ont demandé l'intervention des forces fédérales. Fin avril, Alexendar da Silva, le chef du clan de la favela Vigidal a été interpellé par la brigade des stupéfiants.
Du 12 au 16 mai 2008, de véritables attaques de type militaire ont également eu lieu dans l'Etat de Sao Paulo. Des groupes lourdement armés du PCC s'en sont pris aux forces de l'ordre, à diverses représentations de l'Etat et à des objectifs civils. Ces actions ont donné lieu à de véritables scènes de guerre civile. Les autorités dénombraient 187 morts, dont 31 policiers, 123 agresseurs[8], 23 détenus et 10 civils. Pour leur part, les hôpitaux accueillaient plus de 53 blessés dont 40 policiers. Les objectifs visés – plus de 280 au total – étaient des postes de police, une caserne de pompiers, des agents des forces de l'ordre en patrouille, 50 agences bancaires, 80 autobus et une station de métro. Ces opérations ont eu lieu à Sao Paulo ainsi que dans plusieurs de ses banlieues (Osasco, Guarulhos et Carapicuiba), mais aussi dans des villes éloignées de plus de 80 kilomètres : Cubatao, Guaruja, Mogi Mirim, Sao José de Rio Preto, Santos et Ribeiraro Preto.
Le 17 mai, des mutineries avec prises d'otages éclataient dans 67 établissements pénitentiaires sur les 144 que compte l'Etat de Sao Paulo. Quelques jours auparavant, le 12 mai, les autorités avaient procédé au transfèrement de 765 détenus membres du PCC vers des établissements pénitentiaires de haute sécurité. Cette mesure était destinée à prévenir les évasions massives prévues le jour de la fête des mères, en profitant de l'afflux de visiteurs qui a lieu ce jour là. Les principaux chefs du PCC, avertis de cette mesure par leurs gardiens, avaient mis en alerte leurs troupes à l'extérieur et préparé les révoltes dans les établissements pénitentiaires. Ces évènements avaient donc été soigneusement programmés.
Fin mai, le calme semblait rétabli dans l'ensemble de l'Etat.
Les mutineries sont relativement courantes au Brésil. 42 révoltes ont déjà eu lieu dans les prisons du pays depuis le début de l'année 2008. Dans la plupart des prisons brésiliennes – comme sud-américaines – ce sont les détenus qui sont les véritables maîtres. Il faut dire que le nombre de prisonniers est en moyenne trois fois supérieur à la capacité d'hébergement. Le personnel pénitentiaire n'a pas d'autre choix que de coopérer sous peine de représailles sanglantes, souvent dirigées contre leurs familles. De plus les faibles payes des gardiens favorisent la corruption. Les chefs de gangs ont donc accès à tout ce qu'ils désirent : téléphones portables qui leur permettent de diriger leurs réseaux à l'extérieur, drogue et armes. Il est même admis que nombre de détenus vivent mieux en prison qu'en liberté. Dans certains établissements, des prisonniers peuvent même vivre avec leurs familles, ce qui explique le nombre de naissances derrière les barreaux.
Implication du pouvoir politique
Des proches du président Luiz Inacio Lula Da Silva sont régulièrement accusés de corruption et parfois d'activités criminelles. Le 27 mars 2006, Antonio Palocci, le ministre des Finances et ami proche du président a été obligé de démissionner face à des accusations de corruption et en raison de sa participation à des activités de prostitution. Le 21 septembre 2005, c'était Severini Cavalcanti, le président de la chambre basse du Congrès qui était contraint de quitter ses fonctions.
Par ailleurs, le gouvernement du président Lula est notamment soupçonné d'avoir acheté le vote d'élus pour faire passer certaines de ses réformes et certaines autorités provinciales n'hésitent pas à employer des groupes paramilitaires pour protéger leurs activités, parfois criminelles.
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La pauvreté et l'inactivité endémiques de la jeunesse, la manipulation des populations par certains idéologues soutenus en sous-main par le régime cubain et par le président vénézuélien Hugo Chavez, la corruption d'une partie du monde politique et de l'administration, la situation géographique qui fait du Brésil un carrefour de tous les grands trafics sud-américains, laissent à penser que la situation sécuritaire va continuer à se détériorer considérablement dans les années à venir.
- [1] Un policier brésilien de base gagne environ 360 euros par mois.
- [2] Sur les 6 millions d'habitants que connaît Rio de Janeiro, un million vit dans les quelques 700 favelas de la ville.
- [3] L'autre dirigeant incarcéré est Elias Pereira Da Silva, alias « Elias Maluco » (Elias le fou).
- [4] 3 policiers avaient été tués et 12 autres blessés.
- [5] Particulièrement avec celles dont les responsables ont trouvé refuge en Israël.
- [6] L'influence des triades chinoises est très présente au sein de la communauté asiatique installée à Sao Paolo. Une de leurs activités marquante serait le trafic d'armes.
- [7] Le nombre « officiel » de tués serait de 12 personnes.
- [8] Le bilan est vraisemblablement plus lourd, les assaillants emmenant avec eux leurs blessés.