Berlin. Un employé de l’ambassade britannique accusé d’espionnage au profit de la Russie
Alain RODIER
Un retour sur une période aujourd’hui un petit peu fantasmée : la Guerre froide à Berlin. Elle avait inspiré John Le Carré qui a écrit son chef d’oeuvre publié en 1953 : L’Espion qui venait du froid. Un remake de moins bonne qualité mais réel est en train de se dérouler.
Un agent de sécurité de nationalité britannique employé par l’ambassade de son propre pays en Allemagne a été arrêté mardi 10 août par la police allemande dans son appartement de Postdam, soupçonné d’espionnage au profit des services secrets russes.
David Smith, âgé de 57 ans, avait un statut professionnel d’« employé local » pour les autorités allemandes et d’« employé sous contrat au profit du gouvernement de sa Majesté » pour les Britanniques. La différence est minime et ne change rien au fait que cette personne n’était couverte par aucune immunité diplomatique. Il en résulte qu’il est parfaitement normal que ce soit la justice allemande qui se retrouve chargée du dossier.
Dans les faits, une enquête menée conjointement par le contre-espionnage allemand, son homologue britannique le MI-5, mais aussi par Scotland Yard, aurait débuté il y a plusieurs mois. Smith aurait commencé à travailler pour un officier traitant russe au moins en novembre 2020 (il est possible qu’il ait débuté sa collaboration plus tôt). Il lui aurait fourni contre rémunération – le montant n’est pas dévoilé – des documents qu’il avait réussi à récupérer dans le cadre de son emploi. Cela dit, son poste de planton ne lui donnait pas directement accès à des informations classifiées mais, pour un service de renseignement, une ambassade étrangère constitue toujours un objectif permanent. Smith pouvait aussi profiter de l’inattention de diplomates qui généralement ont peu de considération pour le « petit personnel » pour glaner des informations pouvant être jugées intéressantes.
Les services britanniques auraient été informés de cette trahison et auraient alerté leurs homologues allemands pour mettre l’intéressé sous surveillance et confirmer les faits par des preuves tangibles. Des perquisitions à son domicile, dans son véhicule Ford Fiesta et sur son lieu de travail – vraisemblablement à l’ambassade, ce qui implique une autorisation exceptionnelle de Londres car une représentation diplomatique est considérée comme « territoire » du pays accrédité – ont eu lieu dans la foulée.
La presse britannique a présenté Smith comme un « homme de droite » mais les éléments tangibles qu’elle a pu recueillir à son sujet laissent à penser à un cas beaucoup plus complexe : c’est un passionné d’Histoire récente (Première et Deuxième guerres mondiales), autant intéressé par les troupes nazies que soviétiques, mais aussi curieux de psychologie. Il semblait avoir une affection particulière pour les peluches, en particulier pour les ours (russes ?).
Le lendemain de son arrestation, il a comparu devant un juge d’instruction de la Cour fédérale de justice de Karlsruhe. Il lui a été signifié que son état de prévenu se poursuivait afin de permettre le bon déroulement de l’enquête pour « suspicion d’infractions liées à une activité d’agent de renseignement » (en vertu de la loi allemande). Il sera intéressant de savoir quel était le statut de son officier traitant (diplomate, clandestin ?) et connaître ses motivations profondes en dehors de la rémunération.
Le ministre des Affaires étrangères allemand, Heiko Maas, a déclaré aux journalistes : « espionner un proche allié sur le sol allemand est absolument inacceptable et nous sommes totalement solidaires de nos amis britanniques ». Il ne pouvait pas faire moins mais cela ne changera pas le fait que Berlin est un lieu historique de l’espionnage international.
Ce n’est pas la première arrestation d’un « espion » russe en Allemagne cette année. Ainsi en juin 2021, un scientifique russe, Ilnur Nagaev, travaillant comme assistant et doctorant en ingénierie mécanique au sein de l’université allemande de Augsburg (Bavière) a été appréhendé car soupçonné de travailler contre rémunération pour les services secrets russes depuis octobre 2020. Les résultats de l’enquête n’ont pas encore été divulgués.
En juillet, la chancelière allemande Angela Merkel et le président américain Joe Biden ont promis de rester solidaires « contre l’agression russe ». En matière d’espionnage, le terme d’« agression » a toujours fait sourire les professionnels qui savent que dans ce domaine, il n’y a pas d’amis et d’ennemis. Au fait, concernant les écoutes de la NSA du téléphone de la chancelière allemande, où en est-on des protestations ?