Ben Laden appelle au djihad dans le Darfour 1.
Alain CHARRET
Le Darfour a été évoqué dans le dernier message d’Oussama Ben Laden diffusé par la chaîne satellitaire arabe Al-Djazira, le 23 avril 2006. Le chef suprême d’Al-Qaïda y prédit une guerre longue et difficile contre les juifs et les croisés, selon sa phraséologie habituelle. Certains spécialistes y ont vu là un signe de crise politique au sein de la nébuleuse, qui chercherait de nouveaux conflits après l’échec des opérations en Iraq.
Il est vrai que la situation au Darfour est totalement différente de celle existant en Iraq, voire même en Afghanistan. En effet, les parties qui s’affrontent au Darfour sont toutes de confession musulmane, que ce soient les milices janjaweeds, armées par le gouvernement soudanais, les rebelles du Mouvement pour la justice et l’égalité ou encore ceux de l’Armée de libération du Soudan. Mais avant de tirer des conclusions hâtives, n’oublions pas qu’Oussama Ben Laden connaît très bien le Soudan pour y avoir séjourné de fin 1990 à mai 1996.
Essayons d’y voir plus clair en examinant ce que Washington qualifie maintenant de génocide. La crise a débuté alors que la situation au Sud Soudan était en voie de normalisation et que la signature d’un accord de paix entre gouvernement soudanais et rebelles de l’APLS de feu John Garang, se dessinait. Cet accord, dans les grandes lignes, prévoit une meilleure répartition des richesses et notamment des revenus pétroliers provenant de gisements situés au Sud Soudan, ainsi qu’une participation au gouvernement, avec entre autre la création d’un poste de vice-président, attribué à un leader sudiste. Les populations du Darfour, région recélant également des ressources pétrolières, décidèrent d’exiger, à leur tour, un partage plus équitable des richesses. Khartoum refusa et, en guise de réponse, arma les fameuses milices arabes janjaweeds et leur donna pour instructions de chasser, voire de décimer, les populations sédentaires récalcitrantes qui peuplaient le Darfour. Des villages entiers, ainsi que leurs populations, furent rayés de la carte, laissant ainsi le champ libre aux sociétés pétrolières, à majorité chinoise. Et c’est surtout cette hégémonie chinoise en Afrique de l’Est – mais également sur l’ensemble du continent qui fourni 10% du brut mondial – qui semble avoir décidé Washington à s’intéresser à la situation au Darfour. Prétextant l’existence d’un génocide, l’administration Bush tente ainsi de faire chuter le gouvernement islamique du président Omar Al-Béchir, et espère ainsi prendre le contrôle du pétrole soudanais. Les États-Unis appuient également l’initiative de l’ONU visant à déployer des casques bleus au Darfour. Si les Nations unies devaient envoyer des troupes dans cette région de l’ouest du Soudan, il est vraisemblable que parmi ces effectifs figureraient des militaires de différents pays non musulmans. Voilà qui pourrait ainsi justifier les menaces du leader d’Al-Qaïda. Il aurait tout bonnement anticipé une action onusienne visant à expédier des militaires infidèles dans le Darfour. Des troupes qui, à ses yeux, feraient le jeu de Washington et justifierait son appel au djihad.
Il est intéressant de noter que, jusqu’au 25 avril dernier, les différentes initiatives de Washington visant à faire voter une résolution imposant des sanctions à un certain nombre de leaders soudanais accusés de crime de guerre, se sont heurtées au veto de Pékin. Étrange coïncidence, deux jours après le message de Ben Laden appelant à la guerre sainte au Darfour, la résolution 1672 était adoptée, la Chine n’ayant pas opposé son veto, mais s’étant simplement abstenue. Cette résolution prévoit le gel des avoirs de quatre ressortissants soudanais accusés de crime contre l’humanité. Pékin aurait-elle eut peur d’être associée à Al-Qaïda en continuant à soutenir Khartoum qu’elle approvisionne d’ailleurs en armement, violant allègrement l’embargo de l’ONU ?
En tout cas, de quoi réjouir les partisans de la théorie du complot qui accusent régulièrement Oussama Ben Laden de collusion avec l’administration Bush…
- 1Cet article a été publié dans Les nouvelles d’Addis N° 53 du 15 mai 2006