Bahreïn : une insurrection soutenue par Téhéran ?
Alain RODIER
S’il est question en permanence du soutien apporté par Téhéran aux régimes irakien et syrien, au Hezbollah libanais et aux rebelles Houthi du Yémen, les actions menées en soutien de la commuté chiite du Bahreïn, qui s’oppose à la famille régnante de Hamad ben Issa el-Khalifa (sunnite), sont moins connues. Il convient de rappeler que la population de ce petit royaume insulaire1 est en très grande majorité chiite (70%) et que ceux-ci sont sous-représentés au gouvernement et subissent différentes formes de discrimination de la part de la minorité sunnite dirigeante. De plus, l’île, qui a été sous la domination perse jusqu’en 1782, est aussi un des berceaux idéologiques du chiisme que les Barhana (les arabes chiites locaux) ont contribué à répandre en Iran au XVIe siècle.
Les multiples tentatives des chiites bahreinis
Une première tentative de coup d’État a eu lieu le 16 décembre 1981, menée par le Front islamique de libération du Bahreïn (FILB). Elle prévoyait l’assassinat de la famille royale et la prise de contrôle des organes de la presse audiovisuelle afin de déclencher une insurrection généralisée. Mais ce coup d’Etat avorta. Une deuxième tentative eut lieu le 3 juin 1996, sous l’égide du Hezbollah bahreini, une réminiscence du FILB ; mais elle échoua également. Dans les deux cas, rien n’est venu confirmer une participation éventuelle des services spéciaux iraniens. Pourtant, depuis, les relations entre Téhéran et Manama n’ont cessé de se détériorer, le Bahreïn accusant les rebelles chiites d’aller s’entraîner en Iran pour passer ensuite la frontière
Une nouvelle révolte s’est produite dans le cadre du « printemps arabe », du 14 février au 18 mars 2011; mais elle a été sévèrement réprimée avec l’aide des armées saoudienne et emiratie, sans que les Occidentaux, qui ont soutenu les mouvements populaires en Tunisie, Libye, Egypte et Syrie, n’émettent la moindre protestation. En conséquence, la tension dans le royaume s’est accrue passant d’une rébellion « locale » à une insurrection concertée avec Téhéran.
Plusieurs nouveaux mouvements rebelles sont apparus entre 2011 et 2013. Le plus important est le Saraya al-Ashtar, dirigé par Ahmad Hasan Yusuf et Alsayed Murtadha Majeed Ramadhan Alawi – alias Mortada Majid al-Sanadi -, deux individus officiellement désignés comme « terroristes » par le département d’État américain. Les autres sont le Saraya Mukhtar, le Saraya al-Kasar, le Saraya Waad Allah et le Saraya al-Muqawama al-Shabiya2. Le coordinateur de ces mouvements en Iran serait le Bahreïni Hussein Ali Dawood.
Des éléments rebelles chiites bahreïnis seraient désormais formés auprès de milices chiites en Irak – en particulier auprès de la Kata’ib Hizballah dirigée par Abou Mahdi al-Muhandis – et au Liban, sous la supervision du Hezbollah.
Les rebelles reçoivent régulièrement des armes par la mer. Des embarcations légères vont prendre livraison de leur cargaison sur des « bateaux mères » dans les eaux iraniennes et reviennent accoster discrètement. De grands travaux de rénovation de la ville de Manama ont ainsi permis la mise à jour de nombreuses caches extrêmement bien dissimulées.
Devant l’accroissement de la surveillance maritime, d’autres méthodes seraient employées par les contrebandiers. Armes, explosifs et munitions seraient largués en mer dans des sacs étanches et récupérés grâce à un GPS attaché à une bouée de surface. Des drones maritimes autoprogrammés pourraient aussi être utilisés à l’avenir.
Un nouveau théâtre de l’affrontement irano-saoudien
En guise de représailles à la répression de 2011, les Iraniens auraient tenté d’assassiner l’ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis, Adel al-Jubeir, aujourd’hui ministre des Affaire étrangères. Manssor Arbabsiar, un citoyen iranien résidant aux États-Unis avait alors pris contact avec ce qu’il croyait être des membres d’un cartel de la drogue mexicain pour qu’ils assassinent le diplomate. En fait, il s’agissait d’agents spéciaux du FBI agissant sous couverture. Ces derniers l’ont arrêté et sont parvenus rapidement à identifier l’officier-traitant de Arbabsiar en Iran, un certain Gholam Shakuri. Condamné en 2013, Arbabsiar purge une peine de 25 années d’emprisonnement dans un pénitencier américain. Il n’est pas libérable avant 2033 !
Gholam Shakuri, l’officier des pasdaran chargé de cette opération depuis Téhéran – le FBI a enregistré une conversation compromettante entre lui et Arbabsiar – aurait été en contact avec des rebelles bahreïnis peu avant le déclenchement du complot. Cela dit, il n’est pas impossible que Shakuri ait agi de sa propre initiative, tant l’assassinat du diplomate saoudien à Washington aurait alors entraîné de graves problèmes pour Téhéran. De plus, la méthode utilisée – l’emploi de criminels sud-américains inconnus, en fait des agents du FBI sous couverture -, n’est pas habituelle pour les services spéciaux iraniens qui agissent généralement via des intermédiaires connus et contrôlés (Hezbollah libanais, Hamas, Jihad Islamique Palestinien, etc.).
Pour Riyad, il n’y a pas de doutes : Téhéran est à la manœuvre au Bahreïn ! Si la situation sécuritaire dans le petit royaume semble maîtrisée par les autorités, elle participe cependant au « complexe d’encerclement » ressenti par la famille Saoud. Riyad voyant partout la menace chiite : au nord (Syrie-Irak), à l’est (Bahreïn et provinces saoudiennes frontalières à majorité chiite) et au sud (Yémen).