Attentats d’Amman : l’ombre d’Al-Qaeda
Alain RODIER
Le 9 novembre 2005, vers 19 h 50, à Amman, trois attentats suicide ont eu lieu contre des hôtels de luxe de la capitale jordanienne.
Un homme s'est tout d'abord fait exploser dans le hall de l'hôtel Grand Hyatt au moment où il se faisait interpeller par le service de sécurité. Presque simultanément, un autre activiste qui s'était glissé dans la réception donnée à l'occasion d'un mariage ayant lieu à l'hôtel Radisson SAS, activait la ceinture d'explosifs qu'il portait sur lui. Il semble qu'en réalité, il souhaitait s'en prendre au bar de l'établissement très fréquenté à cette heure par des étrangers. Etant donnés les dommages constatés, il est probable qu'une deuxième bombe a été activée au même moment dans cet établissement.
Peu après, un kamikaze qui se trouvait dans l'hôtel Days Inn se faisait remarquer par le service de sécurité par son attitude bizarre (en fait, les agents de sécurité pensaient avoir affaire à un exhibitionniste car il était vêtu d'un grand manteau et il semblait se « tripoter »). Contraint de quitter l'établissement, après quelques difficultés pour mettre en œuvre la ceinture d'explosifs qu'il portait sous son manteau (d'où son attitude portant à confusion), il parvenait à se faire exploser au niveau de l'entrée de l'hôtel, tuant en particuliers trois ressortissants chinois membres d'une délégation militaire en mission dans le pays.
Au petit matin du 10 novembre, les autorités dénombraient 57 morts et 93 blessés, en grande majorité des citoyens jordaniens. Parmi les victimes figurent également trois militaires chinois, trois Américains, quelques ressortissants sud-coréens et deux hauts responsables de sécurité palestiniens, dont le général chef du renseignement militaire pour la Cisjordanie.
La signature d'Al-Zarquaoui
Le mode opératoire laisse à penser qu'il s'agit bien là d'une opération de grande envergure lancée par Al-Qaeda en Irak d'Abou Moussab Al-Zarqaoui : des attentats suicide simultanés contre des édifices généralement fréquentés par des Occidentaux. Les ceintures d'explosifs ont été confectionnées à l'étranger et les systèmes d'allumage (des détonateurs provenant de grenades à main) ont été activés peu avant les attentats. En outre, trois communiqués parvenus le 10 novembre via Internet revendiquaient la paternité de ces opérations au nom d'Al-Qaeda en Irak. Le style des déclarations ne porte pas à équivoque : ces attentats ont été perpétrés en réponse « au complot contre les sunnites dont le sang et l'honneur ont été versés par les Croisés et les Chiites ». La référence aux Chiites comme des « ennemis », est une caractéristique idéologique revendiquée par Al-Zarqaoui, alors que le docteur Ayman Al-Zawahiri, le numéro deux d'Al-Qaeda, prône pour sa part plus de tolérance vis-à-vis de cette communauté. Ce communiqué donne également les pseudonymes des kamikazes qui seraient tous irakiens : Abou Khatib, Abou Maath, Abou Omeir et son épouse « qui a choisi d'accompagner son mari dans le martyr ». Les identités réelles des activistes sont : Rawad Jassem Mohamed Abed (22 ans), Safa Mohamed Ali (22 ans) et Ali Hussein Al Shammari (35 ans) 1. Le groupe de kamikazes est entré en Jordanie le 5 novembre et a loué un appartement.
Al-Zarqaoui, lui-même jordanien d'origine palestinienne, a toujours voulu faire tomber le pouvoir hachémite qu'il hait profondément depuis son incarcération en 1994 2 et depuis que la Jordanie, pays allié des Etats-Unis, a signé, comme l'Egypte, un accord de paix avec Israël. Le royaume hachémite est devenu, depuis cet événement, un objectif de choix pour Al-Qaeda. Des tentatives d'attentat contre des sites chrétiens du Jourdain et déjà contre l'hôtel Radisson SAS, avaient été déjouées fin 1999. Ces actions avaient alors été directement commanditées depuis Londres par le représentant de l'époque d'Al-Qaeda, Abou Koutada.
Ce sont plus de 15 tentatives d'attentats qui ont été découverts par les forces de sécurité du royaume depuis avril 2004. En effet, les autorités avaient été alertées à la fin mars 2004, d'une importante tentative d'attentat qui heureusement a été déjouée à temps. Des véhicules bourrés d'explosifs et de bonbonnes de matières chimiques, devaient exploser à l'intérieur des locaux des services de sécurité jordaniens, des bureaux du Premier ministre et de l'ambassade américaine. Azmi Jayyousi, le chef du commando, avait pris ses ordres directement auprès d'Al-Zarqaoui. La plupart des membres du commando étaient Syriens et Jordaniens.
Le 6 août, l'organisation d'Al-Zarqaoui s'était livrée à une opération contre le port d'Aqaba. Les terroristes (un Irakien et deux Syriens) provenaient également d'Irak. Des informations font état du fait que son épouse résidant encore à Zarqa, serait enceinte. Si cette rumeur se révèle exacte, cela signifierait que son mari est retourné clandestinement dans le pays il y a quelques mois et qu'il a bien pu préparer les attentats de novembre. On ne peut alors que s'étonner du laxisme des forces de sécurité jordaniennes qui doivent théoriquement surveiller de près la famille d'Al-Zarqaoui.
Il est probable que d'autres actions terroristes auront lieu à l'avenir, dans le royaume. D'ailleurs, dans le deuxième communiqué de revendication, Al-Zarqaoui promet d'autres attaques « catastrophiques ». Il convient de se rappeler que le pays est un des points de passage principaux pour le ravitaillement des forces coalisées en Irak. Troubler cette chaîne logistique importante serait très intéressant sur le plan tactique pour les internationalistes d'Al-Qaeda.
Il est symptomatique de constater que, malgré la guerre déclenchée contre le terrorisme par Washington, les opérations attribuées à Al-Qaeda se multiplient à l'heure actuelle dans le monde entier. Madrid, Charm el-Cheik, Londres, Somalie, Amman, etc. La nébuleuse d'Oussama Ben Laden semble moins acculée que les autorités gouvernementales ne veulent bien le laisser entendre, d'autant que la plupart de ces opérations nécessitent des préparations logistiques importantes 3 .
Même si elles sont décentralisées, il est difficile d'admettre que le commandement central d'Al-Qaeda ne joue aucun rôle dans ces affaires d'autant que des informations font état d'une réorganisation de la nébuleuse qui irait vers une certaine « recentralisation » du mouvement. Prochainement, l'identité d'un nouveau chef opérationnel devrait être révélée au grand public. De nombreuses questions restent en suspend : pourquoi n'a-t-on aucun signe d'Oussama Ben Laden depuis décembre 2004 ? Est-il mort, isolé, ou se réserve-t-il pour réapparaître lors du déclenchement d'actions terroristes spectaculaires, laissant actuellement à son second, Ayman Al-Zawahiri, le soin de communiquer ? Quels sont les vrais rapports entretenus par Al-Zarqaoui et la direction du mouvement ? Dans un communiqué récent, Zawahiri lui recommande de ne plus s'en prendre aux chiites et de ne pas égorger les otages ("une balle dans la tête suffit"). Cependant, il le félicite pour les opérations entreprises en Irak.
Une seule certitude, l'hydre est loin d'être vaincue et d'autres attentats auront lieu.
- 1Les autorités jordaniennes ont arrêté Sajida Moubarak Atrous Al-Rishawi, épouse d'Ali Hussein Al Shammari et sœur d'un membre d'Al-Qaida en Irak tué à Falloudjah (Samer Moubarak Al-Rishawi). Elle était présente avec son époux lors de l'attentat contre l'hôtel Radisson SAS, mais n'a pas réussi à mettre en œuvre la charge qu'elle portait sur elle. Elle a ensuite été arrêtée dans la banlieue d'Amman.
- 2Al-Zarqaoui a été relâché en 1999, mais il a été ensuite condamné à mort par contumace dans ce pays pour sa participation à l'assassinat du diplomate américain Lawrence Foley en 2002.
- 3Selon le dernier communiqué émanant d'un certain Abou Maysara al-Iraqi, les reconnaissances nécessaires au déclenchement de ces actions terroristes ont nécessité plus d'un mois.