Arménie / Azerbaïdjan : combats meurtriers
Alain RODIER
Dans la nuit du 1er au 2 avril 2016, de violents combats ont éclaté au Nagorno-Karabakh (Haut-Karabakh), une enclave arménienne située au sein de l’Azerbaïdjan. Selon Erevan, « l’Azerbaïdjan a lancé vendredi soir une attaque massive à la frontière du Nagorno-Karabakh avec chars, artillerie et hélicoptères ». Bakou a démenti en affirmant n’avoir fait que riposter à des tirs arméniens. En trois jours de combats engageant l’aviation et l’artillerie, les forces azéries ont progressé au maximum de quelques 300 mètre en territoire arménien.
Dans un premier temps, Erevan a admis avoir perdu 18 soldats, sans toutefois préciser si ces derniers appartenaient aux forces arméniennes ou à celle du Nagorno-Karabakh. De son côté, Bakou a reconnu la mort de 16 militaires ainsi que la destruction d’un hélicoptère, d’un drone et d’un char. Mais ces pertes sont vraisemblablement beaucoup plus élevées puisque le 5 avril, date de la signature d’un accord de cessez-le-feu, des sources semi-officelles ont fait état de plusieurs centaines de victimes réparties dans les deux camps.
Une histoire tourmentée
Le Nagorno-Karabakh est un territoire montagneux de 12 000 km2 dont la population est majoritairement d’origine arménienne. Au début du XIXe siècle, cette région passe sous contrôle russe avant d’être confiée en 1868 au gouvernement d’Elisavetpol 1 qui correspondait globalement à l’ouest de l’Azerbaïdjan et l’est de l’Arménie. Après la révolution d’octobre 1917, trois nouveaux « États » voient le jour dont la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Ces deux derniers se disputent le rattachement du Nagorno-Karabakh. Staline tranche et confie ce territoire à la « République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan ». La situation perdure ensuite jusqu’au début des années 1980, mais la Perestroïka exacerbe les tensions, la population d’origine arménienne réclamant son indépendance vis-à-vis de Bakou. La haine étant immense entre les Arméniens et les Turcophones, génocide oblige, les heurts ethniques, voire des pogroms, se multiplient de part et d’autre. Le 20 février 1988, le parlement du Nagorno-Karabakh vote à une grande majorité sa sécession et son rattachement à l’Arménie.
La guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie débute alors, la Russie n’étant plus en position de l’empêcher. Elle fait rage pendant six ans jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit conclu en 1994 à l’initiative de Moscou. Le conflit a fait environ 30 000 victimes. Des négociations s’engagent entre les deux parties sous l’égide du « Groupe de Minsk » qui regroupe la France, la Russie et les États-Unis. Le Nagorno-Karabakh devient alors une république autoproclamée, placée en réalité sous protectorat arménien. Cette « république » n’est pas reconnue sur la scène internationale.
Point fondamental : durant la guerre, Erevan s’est emparé par la force des zones limitrophes sud et ouest de l’enclave forçant les populations azéries à migrer, cela afin d’assurer la continuité géographique entre cette région et l’Arménie. Ce nettoyage ethnique n’a guère ému la communauté internationale ; pourtant l’Arménie s’est alors saisie de 9% du territoire azéri ou de 14% si l’on y inclue le Nagorno-Karabakh.
Après 1994, le cessez-le-feu a été fragile, les deux camps jouant au « désert des tartares ». Mais depuis quelques semaines, la tension montait inexorablement, les accrochages se multipliant continuellement.
Les soutiens étrangers des belligérants
Logiquement, la Turquie se tient aux côtés de l’Azerbaïdjan constitué de populations turcophones. Le président Recep Tayyip Erdogan soutient directement Bakou et a déclaré, lors de son dernier déplacement aux Etats-Unis : « Nous prions pour que nos frères Azerbaïdjanais triomphent de ces combats avec le moins de pertes possibles […] Nous soutiendrons l’Azerbaïdjan jusqu’au bout ». En plus des liens historiques et culturels, les intérêts économiques ne sont pas absents. En particulier, le projet de gazoduc qui a connu un début d’exécution en 2015, le Trans-Anatolian Natural Gas Pipeline 2 devrait rejoindre l’Europe via la Géorgie puis la Turquie en 2018, si tout se déroule normalement.
Plus étrangement, l’Arménie est directement soutenue par Téhéran alors que les Azeris sont des musulmans chiites ! En fait, le régime iranien craint, depuis l’indépendance de l’Azerbaïdjan qui a suivie l’effondrement de l’URSS, que ce pays ne devienne trop prospère, particulièrement en raison de ses importantes réserves en hydrocarbures. Il pourrait alors constituer un pôle d’attraction pour les populations azéries iraniennes ou, pire encore, encourager un séparatisme du nord-ouest de l’Iran. Or les Azéris iraniens, constituent le deuxième groupe ethnique du pays 3 après les Perses. Ils exercent des responsabilités importantes et sont notamment très présents au sein des pasdarans. Le Guide suprême de la Révolution, l’ayatollah Ali Khamenei, est lui-même azéri.
Pour Téhéran, il est donc hors de question de laisser l’Azerbaïdjan voisin trop se développer économiquement. Le conflit avec l’Arménie constitue donc la « variable d’ajustement » idéale que l’Iran encourage, voire appuie. Par exemple, au début des années 1990 alors que la guerre entre les deux pays faisait rage, les Iraniens avait installé un pont flottant sur la rivière Arax qui les sépare de leur voisin arménien. Toute l’aide militaire transitait par de mauvais chemins de terre via cette infrastructure temporaire. Aujourd’hui, elle a été remplacée par un pont en dur et des routes goudronnées qui relient Nordooz, en Iran, à Agarak, en Arménie.
Moscou, toujours pragmatique, joue habilement les deux camps. Premier fournisseur d’armes de l’Azerbaïdjan, la Russie entretient sur le territoire arménien la 102e base militaire du « Groupe des forces russes en Transcaucasie ». Elle est située à Gyumri, à 120 kilomètres au nord d’Erevan. Forte de 3000 militaires qui servent 18 Mig-29, un système anti-aérien S-300 et environ 200 chars et véhicules blindés divers, cette présence russe est particulièrement dissuasive. Cela est d’autant plus vrai que l’on a pu constater la capacité de projection des forces russes en Syrie et l’efficacité des missiles mer-sol tirés depuis la flotte de la mer Caspienne. En cas de besoin, Moscou est tout à fait apte à jouer le « gendarme » sur ces terres que la Russie considère comme relevant de sa zone d’influence et d’intérêt.
Les forces en présence
Sur le plan militaire, l’avantage est du côté de Bakou qui, grâce à son économie florissante, a pu porter le budget de sa défense à plus de 4,46 milliards de dollars. Les forces armées, majoritairement équipées de matériels russes et turcs – en plus d’une composante fabriquée localement – disposent de 130 000 hommes, de 500 blindés, d’une centaine d’appareils de combat et de 35 hélicoptères. Plus important encore est la volonté politique de reprendre les territoires perdus dans les années 1990. Cet esprit revanchard de type « Alsace-Lorraine » pourrait provoquer une nouvelle guerre qui dépasserait largement les enjeux locaux.
De leur côté, les Arméniens se sentent acculés et encerclés par l’ennemi héréditaire turc et ses alliés azéris. L’Arménie aligne une cinquantaine d’aéronefs – mais pas d’intercepteurs – et une centaine de chars accompagnés de transports de troupes blindés de modèles disparates. Il convient néanmoins d’y ajouter les forces essentiellement terrestres du Nargony-Karabakh, qui bénéficient de plusieurs centaines de blindés divers. Globalement, les forces arméniennes comptent 20 000 personnels sous les drapeaux (le service militaire dure deux ans), effectifs qui peuvent être doublés en cas de mobilisation. Comme cela a été expliqué précédemment, la présence permanente russe en Arménie reste un élément dissuasif de première importance. Il ne faut pas oublier que le président Vladimir Poutine aime à se présenter comme le vrai défenseur des chrétiens d’Orient.
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Comme ailleurs, Moscou joue un rôle central dans l’apaisement – provisoire ? – des conflits en cours. C’est sous son égide que les chefs d’états-majors arménien et azéri se sont réunis en Russie pour confirmer l’établissement d’un cessez-le-feu durable. Pour combien de temps ? La Russie est assez puissante pour obliger les deux parties à une certaine retenue.
Ukraine, Syrie, Yémen, Europe du Nord et maintenant Arménie-Azerbaïdjan, le « grand jeu » est en train de se nouer entre les Etats-Unis, la Russie, l’Iran, la Turquie et l’Arabie saoudite. Mais au fait, où est la France 4 ?