Allemagne : un agent triple condamné pour espionnage
Alain RODIER
L’Allemand Markus Reichel (32 ans) a été condamné, le 17 mars 2016, par la justice de son pays à huit ans de prison pour haute trahison au profit des Américains et des Russes. Il était aussi poursuivi pour “violation du secret des renseignements“ et“corruption“. La peine est relativement clémente puisqu’il risquait quinze ans d’incarcération.
Né en République démocratique allemande (RDA), il s’est retrouvé handicapé suite aux effets d’une vaccination défecteuse reçue lors de son enfance. Il a ensuite poursuivi des études dans un centre spécialisé d’où il est sorti diplômé en 2004. Après avoir connu trois ans de chômage, il est parvenu en 2007 à se faire embaucher par le Service de renseignement fédéral (Bundesnachrichtendienst, BND) où il a été affecté au bureau “courrier“. Toutefois, en tant que fonctionnaire rémunéré au plus bas échelon, il ne touchait que 1 200 euros nets par mois.
Dès 2008, il est recruté comme agent de renseignement par la Central Intelligence Agency (CIA) sous le nom de code d’« Uwe ». Pendant presque six années, il va fournir à un certain « Alex » environ 200 documents concernant en particulier les identités réelles et fictives d’officiers du BND, ainsi que leurs adresses en Allemagne et à l’étranger. Dans un premier temps, il fait parvenir hebdomadairement à son contact les informations qu’il photocopie à son bureau, avant de tout simplement les ramener chez lui. Au début, il les expédie par simple courrier postal. Ensuite, elles seront adressées par email puis enfin, via un ordinateur crypté fourni par la CIA. Pour cela, Markus Reichel aurait reçu la somme totale de 95 000 euros en liquide. Ses émoluments lui étaient remis régulièrement dans différentes villes autrichiennes, dont Salzbourg.
En 2014, il adresse par mail trois documents classifiés au consulat de Russie à Munich, vraisemblablement dans l’espoir de se faire recruter par le Sloujba Vnecheï Razvedki Rossiskoï Federatsi (SVR[1]). C’est cette maladresse qui le fait repérer par les services allemands qui l’arrêtent le 2 juillet 2014. Reichel aurait dû se douter que les emails des représentations diplomatiques russes en Allemagne étaient interceptés ; c’est un des fondamentaux de l’espionnage. Il est probable que sa collaboration avec la CIA n’aurait pas été découverte s’il n’avait effectué cette démarche imprudente. A la suite de la découverte de cette affaire, le chef de station de la CIA en poste à Berlin a été expulsé. Par contre les Russes n’ont pas été inquiétés puisqu’ils n’ont pas répondu à la demande de Reichel.
Il explique ses motivations par le fait qu’au BND, on ne le croyait capable de rien et qu’on ne lui faisait pas confiance. Par contre, c’était différent avec la CIA où il « pouvait faire ses preuves ». Reichel a avoué avec beaucoup de franchise, « je mentirais si je disais que cela ne me plaisait pas ». En effet, d’une morne vie de petit fonctionnaire dont les seules activités consistaient à s’occuper du courrier au sein de la centrale allemande, il a connu l’excitation des rendez-vous clandestins, des messages codés et de la vie clandestine.
Les leçons de cette affaire
Il est toujours intéressant, pour un service de renseignement, de recruter une source humaine au sein de ses homologues, fussent-ils « amis[2] ». Pour un officier traitant (OT), c’est une « encoche » de plus sur la crosse de son fusil. Ces derniers sont effectivement appréciés en fonction, non de la quantité et de la qualité des renseignements qu’ils peuvent ramener, mais du nombre d’agents qu’ils ont réussi à recruter.
Cette affaire met en lumière le grand principe de motivation qui préside au recrutement d’une source humaine, résumé à travers la matrice MICE (money, ideology, compromission, ego). Plus que le côté money (rémunération) – Reichel reconnaissant d’ailleurs que la CIA ne le payait pas plus que le BND – c’est l’« ego » qui a joué. Il se sentait « dévalorisé » au sein de son administration qui ne « reconnaissait pas ses mérites à leur juste valeur ». A n’en pas douter, son OT a dû jouer sur ce levier en le flattant. Dans la majorité des cas, l’ego est effectivement la motivation principale qui joue dans tout recrutement et le nombre de fonctionnaires (mais aussi d’agents du privé) qui se sentent dévalorisés et s’ennuient mortellement dans leur travail est très élevé. Cela constitue un vivier très intéressant pour tous les services de renseignement. De plus, dans le cas de la CIA, Reichel ne devait pas avoir l’impression de vraiment trahir son pays puisque les Etats-Unis sont les alliés naturels de l’Allemagne. Par contre, quand il a adressé son email aux services Russes, ce sentiment semblait s’être pour le moins estompé.
Etant donnée la courte période entre son affectation au BND et son recrutement par la CIA (environ un an), il est fort probable que Reichel est venu proposer lui-même ses services aux Américains, comme il le fera en 2014 avec les Russes. En effet, dans le cas contraire, le processus aurait été plus long, les Américains devant d’abord repérer cette cible et réaliser ensuite son “environnement“. Généralement, les services n’apprécient guère cette manière de procéder, préférant choisir eux-mêmes leurs sources. C’est aussi une question de sécurité car l’intéressé peut être un provocateur ou, pire encore, un agent d’influence infiltré, comme cela a été souvent le cas durant la Guerre froide. En effet, le KGB a régulièrement utilisé ce procédé pour désinformer les Occidentaux. Mais là, les Américains savaient que jamais les Allemands ne se livreraient à une telle action à leur égard. Pour leur part, ils n’ont pas eu d’états d’âme pour accepter la collaboration de ce fonctionnaire allemand. Ils auraient très bien pu décliner la proposition et éventuellement signaler ce « maillon faible » à leurs collègues du BND[3].
Le chef de station de la CIA a servi de fusible dans cette affaire. Il fallait bien que Berlin réagisse à l’affront infligé par les Américains dont les pratiques d’espionnage venaient d’être révélées par l’affaire Snowden, en particulier les écoutes visant le téléphone portable de la chancelière Angela Merkel. Or, le chef de station[4] qui occupe un poste fictif au sein de la représentation diplomatique implantée à Berlin, a pour mission première d’assurer la liaison avec ses homologues du BND. Il se garde donc bien de se livrer personnellement à des opérations illégales dans le pays où il est affecté. Il est donc évident que ce n’est pas lui qui traitait l’agent Reichel mais un de ses collaborateurs, voire un OT implanté en Autriche voisine puisque c’est là que l’agent venait chercher ses émoluments. Cette manière de procéder est assez courante car sécurisante pour l’OT et son agent. Couvert par le statut diplomatique, le chef de station de Berlin est donc rentré à Langley où rien ne l’empêchera de poursuivre d’une brillante carrière au sein de la centrale américaine. Bien sûr, il a été remplacé rapidement.
[1] Service de renseignement extérieur de la Fédération de Russie, héritier de l’ancien prestigieux Premier directorat du KGB, dissout en 1991.
[2] Le mot service « ami » est exagéré. Il conviendrait plutôt de parler de service « allié » sur certains sujets comme la lutte contre le terrorisme, le crime organisé, etc.
[3] Cela aurait permis de monter une savante opération conjointe pour tenter d’infiltrer les Russes, mais c’est une autre histoire…
[4] En France, il porte le titre de « chef de poste » et pour les Russes, de « chef de la Résidence »