Al-Shabaab, le « mouvement des jeunes combattants »
Alain CHARRET
C'est en juin 2006, lorsque les militants de l'Union des tribunaux islamiques (UTI) prirent le contrôle de Mogadiscio, la capitale somalienne, que l'Occident sembla découvrir l'existence d'insurgés islamistes dans ce pays de la corne de l'Afrique dépourvu de gouvernement central depuis 1991. Après ce coup de force qui s'accompagna de la prise d'autres lieux stratégiques, notamment dans le sud du pays, les modérés du mouvement se trouvèrent peu à peu marginalisés. À cette époque les spécialistes de la région observèrent également l'arrivée de combattants étrangers en provenance notamment d'Iraq, d'Afghanistan, du Pakistan, mais également de Tchétchénie et de la péninsule arabique. Les experts dénombrèrent jusqu'à 16 camps d'entraînement sur le territoire somalien.
Le rétablissement d'un semblant d'ordre à travers l'application de la charia , mais surtout en mettant fin aux rackets organisés par les différents chefs de guerre qui se partageaient le pays, permit à l'UTI de jouir d'une certaine popularité auprès des Somaliens.
Quelques mois plus tard les messages attribués à Oussama Ben Laden commencèrent à faire mention de la Somalie.
L'apparition d'Al-Shabaab
C'est en 2007 que l'on put véritablement percevoir l'émergence du mouvement Al-Shabaab. Alors que l'Union des tribunaux islamiques, qui avait été momentanément chassée de Somalie par une intervention des troupes éthiopiennes, se réunissait en Érythrée pour former l'Alliance pour une re-libération de la Somalie, Al-Shabaab boycottait ce rassemblement. Si cette nouvelle alliance estimait que l'islam était la solution pour rétablir l'ordre en Somalie, Al-Shabaab voulait imposer un djihad global et planétaire, rejoignant en cela les objectifs de la nébuleuse Al-Qaïda.
Le 29 février 2008 le gouvernement américain inscrivait Al-Shabaab sur la liste des mouvements terroristes étrangers.
C'est également en 2008 qu'Al-Shabaab, à travers Internet, va entretenir une correspondance publique avec Anwar Al-Awlaki. Ce religieux américain vivant aujourd'hui au Yémen a été qualifié par le mouvement somalien « d'un des très rares religieux à défendre l'honneur des moudjahidines ». Anwar Al-Awlaki est connu pour avoir fait d'Internet un outil d'endoctrinement extrémiste [1].
En août de la même année, Cheikh Mokhtar Robow, porte-parole du mouvement mais également commandant militaire, déclarait qu'Al-Shabaab réfléchissait à la manière de s'unir à Al-Qaïda et de prendre ses ordres directement d'Oussama Ben Laden.
En septembre 2009 Al-Shabaab prêtait officiellement allégeance à Al-Qaïda. Cependant, s'il ne fait aucun doute que certains éléments d'Al-Shabaab ont des contacts avec des membres d'Al-Qaïda, pour l'heure il n'est pas possible d'affirmer que les deux groupes agissent de manière coordonnée et obéissent à une stratégie commune.
Radicalisation des actions et internationalisation du mouvement
La radicalisation de ce mouvement d'insurgés islamistes somaliens se constate rapidement à travers les actions menées sur le terrain. Ainsi en octobre 2008 une série d'attentats suicide frappait Hargeisa, la capitale de la région semi-autonome autoproclamée du Somaliland, et Bossasso, une ville du nord-est de la Somalie. Ce type d'action était jusqu'alors peu ou pas employé par les insurgés somaliens. Un mode opératoire qui n'est pas sans rappeler les actions menées en Iraq et en Afghanistan. Ces actions semblent donc avoir été perpétrées par des combattants étrangers. Une théorie confirmée par les services américains qui ont pu déterminer que parmi les kamikazes figurait un citoyen des Etats-Unis. Ce dernier serait d'ailleurs le premier cas connu de kamikaze de nationalité américaine. Ce fut également le cas, plus récemment, lors de l'attentat qui frappa les forces de l'Union africaine, le 14 septembre 2009. Là encore un des deux kamikazes aurait été de nationalité américaine [2].
Non seulement Al-Shabaab compte des étrangers dans ses rangs, mais semble également vouloir internationaliser ses actions. Les leaders du groupe ont tout d'abord menacé de frapper aux cœur même des capitales ougandaise et burundaise, les deux pays qui fournissent des hommes à la force de l'Union africaine déployée dans le pays. Le Kenya, accusé de former les forces du gouvernement fédéral de transition, a lui aussi fait l'objet de menaces de la part d'Al-Shabaab. Djibouti qui abrite une importante base militaire française, mais également un détachement américain, est lui aussi visé. Mais Al-Shabaab ne compte pas se borner au continent africain. Ainsi, en août 2009, les forces de sécurité australiennes ont interpellé quatre hommes qui préparaient un attentat contre une base militaire du pays. L'enquête a établi que ces terroristes présumés étaient en contact avec le mouvement islamique somalien.
Si des citoyens américains ont rejoint la Somalie pour y mener le djihad, ils ne sont pas les seuls. D'autres Occidentaux, parmi lesquels des Canadiens, des Britanniques et des Suédois, se trouvent parmi ces combattants étrangers. Il s'agit d'autant de menaces pour leurs pays d'origine. En effet, certains services spécialisés redoutent que parmi ces combattants quelques uns reviennent discrètement en Occident afin d'y commettre des actes terroristes.
On notera également que le 30 octobre 2009 Al-Shabaab a annoncé la création d'une unité spéciale baptisée brigade Al-Qods [3] dont la mission est de libérer les lieux saints de l'islam. Une annonce qui tend à prouver la volonté d'étendre la lutte hors du continent africain.
L'organisation d'Al-Shabaab sur le terrain
Al-Shabaab est officiellement dirigé par Ahmed Abdi Godane, plus connu sous son nom de guerre de cheikh Moktar Abou Al-Zubayr. Il est né en 1977 dans la capitale de l'actuel Somaliland, Hargeisa. Il aurait étudié au Pakistan et se serait entraîné en Afghanistan. Fin 2002, de retour au Somaliland, il se fait remarquer par ses prêches virulents dans la mosquée Abou Bachir d'Hargeisa. Certaines sources lui attribuent plusieurs actions violentes contre les forces de sécurité somalilandaises.
Avec l'avènement des Tribunaux islamiques dans le sud de la Somalie en 2006, Abou Zubayr devient secrétaire général du mouvement. Blessé lors de l'offensive des forces éthiopiennes, il est évacué au Soudan où il y sera soigné. Il reviendra dans le sud somalien en février 2007. C'est à la suite du décès de Aden Hashi Ayro, tué lors d'une frappe américaine le 1er mai 2008, qu'il lui succédera à la tête d'Al-Shabaab.
Sur le terrain, en Somalie, trois zones sont entièrement contrôlées par Al-Shabaab : La région de Bay et Bakool, dirigée par cheikh Moktar Robow Abou Mansour [4] ; Mogadiscio et le centre-sud de la Somalie ; le Puntland et le Somaliland. À cela on peut ajouter la vallée de Juba, qui est contrôlée par Hassan Abdillahi Hersi « Turki ». Celui-ci, bien que n'appartenant pas officiellement à Al-Shabaab, en est tout de même très proche.
Alain Charret
Rédacteur en chef de Renseignor
Membre du comité de rédaction du journal Les nouvelles d'Addis
Chercheur associé au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R)
- [1] À noter que dans le cadre de l'enquête sur la fusillade de Fort Hood (5 novembre 2009), il a été établi que Nidal Malik Hasan a échangé des courriers électroniques avec Anwar Al-Awlaki. Certains éléments semblent même indiquer que les deux hommes se seraient rencontrés, il y a huit ans, lorsque Awlaki résidait encore aux États-Unis.
- [2] Cf. Note d'Actualité n° 191.
- [3] Nom arabe de Jérusalem.
- [4] Il est également porte-parole du mouvement.