Al-Qaïda et l’Emirat islamique d’Afghanistan
Alain RODIER
Le 23 août soit trois jours après la diffusion d’un message de 54 minutes d’Abou Bakr Al-Baghdadi, l’émir de Daech, demandant à ses fidèles, au milieu de fatras de citations idéologico-religieuses, de poursuivre la lutte, Ayman Al-Zawahiri a, à son tour, publié une déclaration filmée beaucoup plus courte puisqu’elle ne dure que cinq minutes.
Intitulée « La bataille de la conscience et de la volonté », il y appelle les musulmans à s’unir contre une « alliance infidèle internationale » et cite l’Émirat islamique d’Afghanistan des taliban[1] comme l’exemple à suivre. Selon lui, ces derniers sont parvenus à rederesser la direction du djihad afghan après avoir traversé une période de désaccords. Ayman Al-Zawahiri fait sans doute référence à la guerre civile qui a suivi le départ des Soviétiques en 1989. À partir de 1992, date de la chute du gouvernement communiste de Mohammad Najibullah, de nombreuses factions « islamistes » – dont celle du célèbre commandant Massoud[2] – se sont affrontées avant que les taliban ne prennent le dessus en 1994. Al-Zawahiri rappelle que le dernier émirat islamique est tombé en 1922 à la fin de la Première Guerre mondiale[3] et que les infidèles et les occupants se sont alors partagé les territoires de l’Oumma– la communauté des croyants – en une douzaine de parties mais. Selon lui, tout espoir n’est pas perdu. De nombreux mouvements ont émergé au sein du monde musulman pour « résister » à la « tyrannie » des infidèles.
Le plus important est celui de l’Émirat islamique des taliban, qui a guidé le projet djihadiste en Afghanistan dans la « bonne direction ». Par ce discours, Al-Zawahiri souligne qu’Al-Qaïda considère cet émirat « béni » comme la pièce centrale de la résurrection du califat mondial appelé de ses vœux, tout en rejetant celui d’Abou Bakr Al-Baghdadi qui a perdu la plupart des territoires qu’il contrôlait[4].
Al-Zawahiri affirme que les taliban sont très populaires et que le devoir de tous les djihadistes est de les soutenir. Pour lui, leur émirat était l’idée de Ben Laden avant qu’il ne soit tué en « martyr ». C’est pour cela que le créateur d’Al-Qaïda a jeté les bases d’une alliance djihadiste qui s’étend du Turkestan jusqu’à l’océan Atlantique.
A l’exemple des taliban, les docteurs de la foi et les moudjahiddines doivent développer l’unité des croyants. Il met en garde contre ceux qui provoquent des divisions et qui font couler le sang d’autres musulmans. Unifier l’Oummaprovoquera la peur dans le cœur de ses ennemis et apportera finalement la « victoire » en bâtissant les fondations solides nécessaire à la résurrection du califat.
*
Historiquement, le chef d’Al-Qaïda a toujours reconnu l’autorité morale et religieuse de l’émir des taliban, qualifié d’« émir des croyants », en lui prêtant allégeance. C’est ce qu’avait fait en son temps Ben Laden vis-à-vis du mollah Omar, puis Al-Zawahiri vis-à-vis du mollah Mansour (tué en mai 2016) puis de son successeur Hibatullah Akhundzada. Les leaders d’Al-Qaïda ne se sont jamais considérés comme des chefs religieux mais plutôt comme des responsables militaire et politique. Quand des musulmans rejoignent Al-Qaïda, ils prêtent indirectement allégeance – sur le plan religieux – aux taliban, même s’ils répondent à l’autorité militaire de la nébuleuse. Al-Baghdadi rejette cette allégeance, car il concentre sur sa personne l’autorité religieuse, militaire et politique… Cette divergence se traduit sur le terrain avec la wilaya Khorasan de Daech qui couvre l’Afghanistan et le Pakistan. Elle est en guerre contre les pouvoirs en place à Kaboul et à Islamabad, mais aussi contre les taliban considérés comme des apostats.
En conclusion, quelque soit la branche géographique d’Al-Qaïda, le « centre » reste l’Émirat islamique d’Afghanistan. C’est pour cette raison que l’organe de commandement de l’organisation n’a jamais quitté la zone frontalière située à cheval sur la « ligne Durand » qui sépare l’Afghanistan du Pakistan.
[1] Proclamé en 1996 après que ces derniers aient conquis Kaboul et la majorité du pays.
[2] Contrairement à la légende circulant en Occident, le commandant Massoud était un musulman intégriste qui a accueilli dans ses rangs de nombreux volontaires étrangers envoyés avec l’aide d’Oussama Ben Laden. Les relations avec le leader d’Al-Qaïda se sont dégradées à partir de 1992.
[3] Il s’agit de l’Empire ottoman.
[4] Au passage, Al-Zawahiri illustre la différence fondamentale qui existe entre les deux mouvements qui pourtant partagent la même idéologie salafiste-djihadiste : il associe les autres formations djihadistes au projet d’Al-Qaïda sans leur demander de lui faire personnellement allégeance.