Al-Qaida est-elle vaincue ?
Alain RODIER
De nombreux analystes soutiennent qu'Al-Qaida est vaincue en tant qu'« organisation terroriste ». Ils mettent en avant le fait que la guerre contre le terrorisme déclenchée par Washington, après les attentats du 11 septembre 2001, a enfin porté ses fruits. En effet, ils constatent, avec juste raison, que les Américains ont remporté de nombreux succès contre les djihadistes internationalistes en Irak, en s'appuyant sur des chefs de tribus sunnites. Cela leur a permis de pacifier certaines régions, hier encore aux mains de sicaires se réclamant de Ben Laden : les provinces de Diyala, d'Anbar et la région de Bagdad. Plus important encore, le discours idéologique d'Al-Qaida ne passerait plus, même auprès des musulmans fondamentalistes. « La guerre des idées » aurait donc été remportée. Ils remarquent ensuite que les activistes d'Al-Qaida sont chassés d'Arabie saoudite et n'ont pas remporté les victoires qu'ils escomptaient en Afghanistan, en Somalie et en Tchétchénie. Enfin, aucun attentat majeur n'est survenu en Occident depuis 2006, ce qui tend à prouver que les cellules clandestines d'Al-Qaida ne seraient plus opérationnelles.
Cependant, ce « communiqué de victoire » est vraisemblablement d'une action de propagande destinée à alimenter la politique intérieure américaine à la veille des élections présidentielles. Pour le camp républicain, il justifie la politique menée par le président Bush depuis 2001. Pour les Démocrates, il devrait légitimer un retrait progressif des troupes américaines d'Irak.
Et pourtant, la nébuleuse Al-Qaida, non seulement n'a pas dit son dernier mot, mais elle peut repartir à l'assaut à tout moment. L'organisation s'est renforcée dans les provinces tribales pakistanaises voisines de l'Afghanistan, où Islamabad semble, plus que jamais, incapable d'établir son autorité. Elle a trouvé de nouvelles bases de repli au Yémen, au Sahel, en Amérique latine et vraisemblablement en Extrême-Orient. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'organisation se fait relativement discrète dans ces régions. Les activistes tiennent à continuer à y vivre et à s'y développer. Pour cela, ils ont besoin de la tranquillité qu'un calme apparent leur apporte.
Sur le plan des « idées », ce n'est pas l'Occident qui a gagné. Il existe une lutte entre tendances islamistes dures. Les wahhabites intégristes qui s'opposent à Al-Qaida n'en sont pas pour autant devenus les alliés des Occidentaux qui restent pour eux des « mécréants » qu'il convient de combattre. Par souci d'efficacité, ils le font moins frontalement, mais ils persistent à étendre leur vision radicale de l'Islam au sein des populations musulmanes et leur prosélytisme se développe particulièrement en Europe occidentale et en Amérique latine.
Par ailleurs, de nouveaux réseaux d'Al-Qaida peuvent passer à l'action à tout instant. La nébuleuse terroriste a également donné naissance aux « loups solitaires », qui sont des individus isolés convertis au concept de la guerre sainte. Seuls dans leur coin – ce qui les rend difficile à identifier – endoctrinés et formés par les différents sites islamiques radicaux présents sur le net, ils se préparent à fomenter des attentats[1]. Si leur capacité de nuisance reste limitée en raison de leur manque de professionnalisme, ils obligent les forces de sécurité à disperser leurs efforts en matière de lutte anti-terroriste. Cela laisse toute latitude aux vrais professionnels du terrorisme que constituent les activistes d'Al-Qaida – qui ont connu les champs de bataille irakien, afghan, tchétchène ou somalien – de préparer des actions d'envergure. D'autant qu'ils ont été rejoints par des volontaires occidentaux – notamment britanniques, allemands et danois – qui, après s'être converti à l'islam, ont reçu une formation dans des camps d'entraînement situés dans les zones tribales pakistanaises. Même si des attentats de l'ampleur de ceux du 11 septembre sont difficiles à réaliser, Ben Laden souhaite que ces cellules mènent des actions spectaculaires dans l'avenir. Et il n'est pas pressé car il sait que le combat qu'il a initié durera sur plusieurs générations ! Cette notion différente du temps est fondamentale pour comprendre l'infinie patience dont font preuve les islamistes radicaux.
En conséquence, Il serait dangereux pour l'Occident de baisser la garde face à une menace qui évolue en permanence. D'autant que l'on constate tous les jours que de nouveaux adeptes sont attirés par la « cause musulmane ». En effet, des révolutionnaires dans l'âme qui autrefois se tournaient vers le marxisme pour combattre le capitalisme, trouvent dans les mouvements islamiques les meilleurs alliés pour lutter contre la mondialisation (nouvelle appellation du capitalisme honni). « Pacifistes, écologistes[2] et islamistes, tous unis contre l'impérialisme américain ! » pourrait être leur slogan. Pour certains, le chemin est parfois court de Che Gevara à Oussama Ben Laden !
- [1] Plusieurs cas ont été découverts aux Etats-Unis, au Canada et en Europe, particulièrement en Grande-Bretagne et en France.
- [2] Tous les mouvements pacifistes et écologiques ne partagent pas ce point de vue. Il s'agit plus d'une minorité dont le but réel, dissimulé derrière des mots porteurs, est en fait la révolution mondiale.