Al-Qaïda en Somalie, du mythe a la réalité
Alain CHARRET
Des signaux forts
Les signaux n'ont jamais été aussi forts et variés. En effet, bien que les Américains se soient régulièrement fait l'écho de la présence de membres, voire même de cellules, d'Al-Qaïda en Somalie, ces affirmations ont rarement été confirmées. Cette fois les indices allant dans ce sens semblent beaucoup plus nombreux et concrets.
C'est tout d'abord une enquête conjointe du FBI et de la CIA relative à la disparition de jeunes Américains d'origine somalienne qui ont une nouvelle fois amené Washington à s'inquiéter de la présence de combattants étrangers en Somalie. Selon les services américains ce sont pas moins d'une douzaine de jeunes qui auraient quitté le sol américain pour rejoindre ce pays de la Corne de l'Afrique et y mener la guerre sainte [2].
Un autre indice visant à confirmer la présence de combattants étrangers en Somalie provient de la radiodiffusion russe. Celle-ci a annoncé que fin avril, dans le cadre de sa participation à la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe d'Aden, le bâtiment de guerre russe Amiral Panteleyev a arraisonné un navire appartenant à des pirates présumés. Parmi ces derniers figuraient notamment des Pakistanais et encore plus surprenant, des Iraniens [3]. Ils ont été extradés sur ordres des autorités russes, vers leurs pays d'origine. Il serait intéressant d'avoir des détails sur ce fameux navire car la présence de ces hommes à bord pourrait suggérer qu'il s'agit plutôt d'un navire de liaison et non pas de pirates. Le fait que les individus se trouvant à bord soient armés n'implique pas forcément que l'on ait à faire à des bandits des mers. Des combattants proches des insurgés islamistes le seraient également. Des insurgés qui rappelons-le, se sont toujours opposés à la piraterie maritime.
Le 23 avril 2009 c'est le Cheikh Dahir Aweys, auparavant en exil en Érythrée, qui est revenu sur le territoire somalien. Celui-ci, est-il besoin de le rappeler, est considéré par les États-Unis comme proche du réseau Al-Qaïda. Il fait d'ailleurs l'objet d'une notice de recherche émise par Interpol à la demande du Conseil de sécurité des Nations unies. Bien qu'ancien allié de l'actuel président somalien, Cheikh Sharif Cheikh Ahmed, il appelle à lutter contre son gouvernement qu'il juge trop modéré.
De son côté Cheikh Sharif Cheikh Ahmed a lancé plusieurs appels en direction de la communauté internationale dénonçant l'arrivée en Somalie de militants d'Al-Qaïda en passe d'y constituer plusieurs cellules, voire même de s'y implanter en masse [4].
Vers une radicalisation des actions
On notera également cet attentat suicide, le 24 mai 2009, qui a tué au moins sept personnes dans la capitale somalienne, Mogadiscio. Cette tactique était jusqu'alors peu, voire pas, utilisée par les insurgés islamistes somaliens, ce qui démontrerait une radicalisation du mouvement ou encore une action menée par un combattant étranger. La recrudescence dans un proche avenir de telles actions confirmerait non seulement une radicalisation encore plus forte de l'action des insurgés, mais également la présence d'étrangers dans leurs rangs et notamment de vétérans d'Afghanistan et/ou d'Iraq. Des pays où ces actions sont devenues presque quotidiennes.
Pas plus tard que la semaine dernière, plusieurs médias d'outre-Atlantique se référant à une source proche des services de renseignement américains, ont fait état de l'accroissement des communications entre les leaders d'Al-Qaïda au Pakistan et des « suspects » en Somalie et au Yémen [5]. Parallèlement Leon Panetta, le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), indiquait que son service avait recruté de nouvelles sources au sein de la population pakistanaise et qu'il était ainsi à même de confirmer qu'Oussama Ben Laden se trouvait bien dans les zones tribales situées au nord-ouest du Pakistan. Ce qui n'a pas manqué de susciter de vives protestations de la part d'Islamabad qui a qualifié cette information de rumeur sans fondement.
Rappelons que les provinces du nord-ouest du Pakistan font l'objet depuis plusieurs mois, d'une offensive de l'armée pakistanaise visant à éliminer les militants du mouvement des taliban pakistanais ainsi que des membres présumés d'Al-Qaïda qui y auraient trouvé refuge. Il est difficile d'en connaître avec exactitude le bilan compte-tenu des chiffres contradictoires diffusés par l'un ou l'autre camp. Cependant l'accroissement des communications entre ces régions et la Somalie et accessoirement le Yémen, pourrait indiquer que les leaders d'Al-Qaïda et leurs militants envisageraient de quitter les zones tribales devenues dangereuses pour leur survie et gagner ainsi ce pays d'Afrique de l'Est dépourvu de gouvernement central depuis 1991 et où l'insurrection islamiste se trouve en position de force.
Oussama Ben Laden pourrait être en passe de se réfugier en Somalie
Penser qu'Oussama Ben Laden fasse partie du voyage n'est pas forcément ridicule. Car si les Américains ont une vague idée de l'endroit où il se trouve, il paraît évident qu'ils ne l'ont pas localisé avec précision. Sinon il y a fort à parier qu'un drone Predator lui aurait déjà réglé son compte. De plus sa fuite pourrait avoir le soutien des services secrets pakistanais (ISI [6]) dont certains membres ont toujours été proches des islamistes. Une aide que pourrait cautionner les autorités pakistanaises qui ne souhaitent pas que le leader d'Al-Qaïda soit capturé sur leur sol. Avec un tel soutien, Oussama Ben Laden n'aurait sans doute pas de grandes difficultés à gagner la Somalie et à en faire son nouveau refuge. Un pays où les Américains hésiteront à revenir car ils ne sont pas encore remis de leur défaite datant de 1993. Ils choisiraient donc certainement d'y envoyer les troupes éthiopiennes en tant que supplétives. Des troupes qui ont occupé encore récemment le pays, sans véritable succès, de décembre 2006 à 2008 et qui selon certaines sources, auraient encore récemment effectué plusieurs opérations de reconnaissance.
Alain Charret
Membre du comité de rédaction du journal Les nouvelles d'Addis
Chercheur associé au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)
Juin 2009
- [1] Ce texte a également été publié dans Les nouvelles d'Addis , 17 juin 2009.
- [2] Les Nouvelles d'Addis N° 65, Novembre/Décembre 2008
- [3] La voix de la Russie , le 28 mai 2009
- [4] Renseignor N°572 du 31 mai 2009 et N°574 du 14 juin 2009
- [5] Renseignor N°574 du 14 juin 2009
- [6] Inter Services Intelligence