Al-Qaida/Daesh : la course aux attentats
Alain RODIER
A l'évidence, la menace terroriste d'origine islamique provenant d'Al-Qaida « canal historique » et de Daech continue de peser sur la planète. L'étude de quelques attentats, dont certains ont heureusement échoué, apporte des informations sur les activistes occidentaux ou arabes qui les ont perpétré et sur leurs motivations.
Australie
Le 11 mars 2015, Jake Bilardi, un jeune Australien d'à peine 18 ans s'est fait exploser à bord d'un véhicule bourré d'explosifs dans la ville de Ramadi, en Irak, pour le compte de Daech. L'enquête a démontré que ce jeune homme, le cadet d'une fratrie de six enfants, était en situation de rébellion dès ses douze ans. Il se sentait viscéralement révolté par le système politique régnant en Australie et dans la plupart des pays du monde. Issu d'une famille non musulmane de la classe moyenne, il se disait athée. Mais, il a estimé que la seule manière de participer à la « révolution violente globale », nécessaire selon lui pour abattre le système démocratique qu'il honnissait car il le trouvait injuste, consistait à se convertir à l'islam tout en restant sur le fond non-croyant. Il avait hésité entre le socialisme, le communisme et le nazisme. Sa décision de basculer dans l'islam radical daterait des « Printemps arabes » de 2011. Dans une confession posthume, il reconnaît qu'il y a là une contradiction qu'il assume, les musulmans étant, selon lui, opprimés par l'Occident. La mort de sa mère a vraisemblablement été le facteur déclenchant du passage à l'acte de cet adolescent intelligent et solitaire qui rêvait de devenir journaliste.
Dans un premier temps, vraisemblablement au début 2014, il a envisagé de mener des actions terroristes à Melbourne dirigées contre les consulats étrangers, les installations politiques, militaires, les centres commerciaux, les cafés, etc. Ces attaques devaient avoir lieu à l'aide de bombes artisanales et d'armes blanches. Jake Bilardi souhaitait finir en apothéose en se faisant exploser au milieu des kuffars (infidèles). Alors qu'il rassemblait des éléments nécessaires pour confectionner des bombes[1], il a eu peur que la police ne découvre ses plans. Il alors préféré quitter l'Australie pour rejoindre la Syrie via la Turquie. Afin de préparer son périple, il a fréquenté des sites internet du Front al-Nosra – la branche officielle d'Al-Qaida en Syrie -, d'Ahrar al-Sham, le plus important groupe armé de la coalition « Front islamique » (FI) soutenue par l'Arabie Saoudite, puis de Daech. Il est finalement parvenu à contacter un « frère », tout en ayant conscience qu'il prenait un grand risque faisant confiance à cette personne qu'il ne connaissant pas. Il a pu rejoindre la Syrie à l'été 2014 via la ville frontalière de Jarabulus, située au nord d'Alep. Sa famille a signalé sa disparition en août mais les autoritn'ont annulé son passeport qu'en octobre ! Parvenu sur le front, il s'est porté volontaire pour commettre un attentat-suicide et a été transféré en Irak. Après une première tentative ratée à Baiji, au nord de Tikrit, il a participé à une attaque sur Ramadi dans la province d'al-Anbar. Elle réunissait 13 kamikazes dont au moins un Belge, un Tchétchène, un Ouzbek, un Marocain, un Tunisien, un Egyptien et deux Syriens.
Jake Bilardi faisait partie des ces jeunes rebelles[2] qui ont toujours existé et qui en veulent au monde entier qu'ils jugent comme étant profondément inégalitaire. A une autre époque, c'est l'anarchisme nihilisme qui leur aurait plutôt convenu. Il y en aura beaucoup d'autres dans l'avenir et, même si la cause salafiste-djihadiste disparaît, ils épouseront d'autres causes pour assouvir la haine qu'ils portent à l'égard du monde en général, mais surtout à leur propre encontre.
Canada
Au Canada, les autorités ont arrêté début mars 2015 Jahanzab Malik. Il avait malencontreusement approché un agent des services de l'immigration agissant sous couverture. Jahanzad Malik a tenté de convertir le fonctionnaire au salafisme-djihadisme en lui montrant des vidéos de décapitations prise sur le front syro-irakien. Il a prétendu avoir connu Anwar Al-Alwaki, le prédicateur américain tué au Yémen par un drone américain en 2011 mais dont les écrits sont toujours très présents sur le net. Il a affirmé avoir préféré choisir Daech qu'Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) dont dépendait Al-Alwaki car ce mouvement se montrait plus offensif.
Jahanzab Malik est un Pakistanais âgé de 33 ans qui est arrivé au Canada en 2004 pour y suivre des études, puis a obtenu le statut de résident en 2009. Il aurait même eu des enfants au Canada. Son objectif était de mener des opérations terroristes contre le consulat américain de Toronto et contre d'autres bâtiments dans le quartier d'affaires. Fait nouveau : il aurait été s'entraîner dans un camps jihadiste en Libye. Ce phénomène est relativement récent et prouve que tout le monde craignait : la Libye est devenue une base arrière pour des terroristes en puissance. On devrait en entendre parler dans l'avenir. Comme Malik est de nationalité pakistanaise et que les faits qui lui sont reprochés ne semblent pas pouvoir être retenus devant la justice pour des raisons de procédure, il risque surtout d'être expulsé malgré la dangerosité que représente son profil.
Etats-Unis
Le 3 mai vers 19 h 00, Elton Simpson (31 ans) et Nadir Soofi (30 ans) sortent d'un véhicule à proximité du Curtis Culwell Center de Garland, dans la grande banlieue de Dallas et ouvrent le feu sur un agent de police qui est légèrement blessé à la jambe. Ils sont neutralisés par des tirs de riposte. Les forces de sécurité étaient en nombre car le centre accueillait un concours de caricatures de Mahomet organisé par l'American Freedom Defense Inititiative, une organisation fondée par Pamela Geller connue pour son opposition farouche à l'islam. La personnalité invitée à cette occasion était l'homme politique néerlandais Geert Wilders.
Elton Simpson avait été placé sous surveillance par le FBI à partir de 2006[3] (1 500 heures d'enregistrements avaient été effectuées) et présenté à un juge en 2011. Il avait alors été condamné à trois années de probation et 600 dollars d'amende pour avoir menti au FBI. En effet, il avait caché à un interrogateur officiel vouloir rejoindre les shebab somaliens. L'enquête permettra de découvrir qu'Elton Simpson avait tweeté un message annonçant ses intentions et affirmant « que Dieu nous accepte comme moudjahiddines ». Une revendication était aussi émise le même jour par El Junaid Hussain – alias Abou Hussain Al Britani -, un hacker britannique vraisemblablement réfugié en Syrie. C'est lui qui serait derrière le « Cybercalifat » qui s'en était pris aux réseaux du Pentagone puis peut-être à TV5 Monde. Enfin, un organe de communication de Daech affirme le 4 mai : « deux soldats du califat ont mené une attaque contre une exposition de caricatures contre le prophète à Garland, Texas, Etats-Unis […] Nous disons à l'Amérique : ce qui se préparer sera plus important et plus amer. Vous verrez des choses horribles menées par des soldats de l'Etat Islamique. » Elton Simpson était un converti jugé par son avocate comme : « gentil et musulman dévoué […] un garçon normal. » Nadir Soofi, avec qui il partageait un appartement à Phoenix, avait entamé des études de médecine et avait un enfant âgé de huit ans.
Danemark
L'affaire de Garland ressemble aux attentats dirigés contre Charlie Hebdo en janvier à Paris, mais aussi à la tentative d'Omar Abdel Hamid Al-Hussein (22 ans) de pénétrer dans une salle de conférences à Copenhague où se tenait une manifestation intitulée « Art, blasphème et liberté d'expression » à laquelle participait Lars Vilks, un des caricaturiste condamné à mort par la revue Inspire[4], tout comme Stéphane Charbonnier (alias Charb) et Geert Wilders. L'ambassadeur de France participait aussi à cette réunion.
Dans la nuit, d'Omar Abdel Hamid Al-Hussein s'en prit à une synagogue avant d'être abattu par la police quelques heures plus tard. Le bilan fut de trois morts dont le terroriste. Âgé de 22 ans, cet ancien marginal membre du gang « Brothas » (frères) – dont il avait été exclu car estimé incontrôlable par ses pairs -, était sorti de prison deux semaines auparavant. Il y purgeait une peine pour violences avec arme. C'est vraisemblablement en prison qu'il s'est radicalisé, tweetant avant de passer à l'action qu'il faisait allégeance à Abou Bakr Al-Baghdadi. Présentant depuis son adolescence des problèmes psychologiques importants, il était devenu solitaire, son geste pouvant être assimilé à une fuite en avant destinée à se faire reconnaître par la société. Nous retrouvons là des points communs avec le cas de Jack Bilardi évoqué plus haut.
Pakistan
Daech n'en oublie pas les autres théâtres de guerre et ses ennemis principaux, les « apostats » chiites. Ainsi, le 13 mai, un bus transportant des chiites ismaéliens à Karachi a été pris d'assaut par six hommes à moto et portant des uniformes. Après avoir arrêté le véhicule, les agresseurs sont montés dans le car et ont arrosé à bout portant au pistolet mitrailleur les passagers, tuant 45 personnes et en blessant 6 autres. Ils ont laissé des tracts au nom de la « Province Khorasan », puis une revendication a été postée sur le net par le groupe Jundallah qui a officiellement prêté allégeance à l'Etat Islamique en novembre 2014. Ces terroristes semblent être des activistes entraînés – pour ne pas dire des professionnels de la terreur – qui dépendaient précédemment au Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP). Le dernier massacre attribué au Jundalah remonte au 30 janvier de cette année. Il avait revendiqué un attentat à la bombe dirigé contre la mosquée chiite de Shikarpour (province de Sindh au sud-est du Pakistan) lors de la prière du vendredi tuant au moins 49 fidèles.
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Ces cas démontrent qu'il n'est pas possible de faire un portrait robot du « djihadiste moyen. » Les âges, les nationalités et les motivations sont différents. Le point commun est la haine que leur inspirent les sociétés occidentales. Ces aspirants djihadistes trouvent dans la religion musulmane radicale une doctrine qui qui donne un cadre à leur révolte contre les « puissants. » Pour des personnes déracinées, la radicalisation devient un moyen de se construire un semblant d'histoire personnelle qui leur sert d'issue de secours et se termine parfois par la mort en martyr. Quelle destinée !
Les difficultés rencontrées par ces volontaires isolés sont semblables : ils ne connaissent pas leurs interlocuteurs et doivent faire appel à des tiers pour mener à bien, soit des actions terroristes à domicile, soit pour rejoindre une terre de djihad. C'est dans cette direction que des contre-mesures peuvent être envisagées, particulièrement en Europe, le procédé de l'agent sous couverture agissant sur le terrain (dont celui du net) semble être assez efficace, même si ce n'est pas la panacée. Enfin, les gardes statiques du type « Sentinelle » ont une utilité réelle dans la mesure où, ceux qui les montent, sont correctement entraînés[5] et reçoivent des consignes claires d'ouverture du feu.
- [1] La police les retrouvera lorsqu'elle perquisitionnera le logement de sa famille dans la banlieue de Melbourne (Craigieburn), après qu'il ait été signalé comme disparu par ses proches
- [2] Deux autres jeunes de 17 et 18 ans ont été arrêtés en Australie en avril 2015 alors qu'ils préparaient des attentats, vraisemblablement à Melbourne, à l'occasion de la journée de l'ANZAC (25 avril) commémorant la bataille de Gallipoli et l'engagement des troupes australiennes et néo-zélandaises durant la Première Guerre mondiale
- [3] En raison de ses liens avec Paul R. Hall un converti à l'islam sous le nom d'Hassan Abou Jijaad qui a été condamné en 2008 pour avoir, en tant que marin, transmis via le net des informations sur le navire USS Benfold, où il servait en 2001. Il a écopé de 10 ans de prison, la peine maximale prévue pour ce délit.
- [4] Revue publiée par Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA).
- [5] Dans le cas de Garland, il semble que c'est un officier de police qui a neutralisé les assaillants, ce qui démontre le professionnalisme de celui-ci face à deux agresseurs lourdement armés et déterminés