Afrique du Nord : réorganisation d’AQMI
Alain RODIER

Abou Obeida Youssef Al-Annabi, nouvel émir d’AQMI ?
Après les coups de boutoirs infligés par les forces françaises et africaines -notamment tchadiennes et nigériennes – à Al-Qaida au Maghreb slamique (AQMI) et à ses « créatures » Ansar Dine et le Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO), une importante restructuration de cette nébuleuse salafiste-jihadiste a eu lieu. Il est vraisemblable que cette réorganisation en profondeur est loin d'être terminée fin mai 2013, mais des grandes lignes sont déjà perceptibles.
Le commandement d'AQMI à un tournant
Le « commandement central » d'AQMI était jusque là assuré par Abdelmalek Droukdel, depuis l'est d'Alger. Il n'avait que peu d'influence sur la région sahélienne si ce n'est qu'Abou Zeid semblait lui être fidèle. Le remplacement de ce dernier, suite à sa mort lors des combats contre les forces tchadiennes, n'a jamais été confirmé, d'autant que qu'Okacha n'avait aucune légitimité pour prendre le commandement de la katiba El Fatihine qu'Abou Zeid dirigeait. En fait, son nom a été avancé car il avait été désigné, en octobre 201,2 comme « émir du Sahara » en remplacement de Nebil Mekloufi, mort dans un accident de la route au Nord-Mali le 8 septembre de la même année. C'est-à-dire qu'il était le représentant du « commandement central » d'AQMI dans la région. Or ce poste « honorifique » ne comporte pas de responsabilités opérationnelles sur le terrain. Il n'en reste pas moins que le remplaçant actuel d'Abou Zeid, s'il y en a un[1], est aujourd'hui inconnu.
Quant à Abdelmalek Droukdel, on ne peut qu'être étonné de son silence. En effet, seul Abou Obeida Youssef Al-Annabi, le chef du conseil des notables – l'organe dirigeant d'AQMI -, est apparu sur le devant de la scène pour une déclaration menaçant la France le 24 avril 2013. Il exhortait alors « les musulmans dans le monde entier […] à attaquer les intérêts français partout, car ce sont des cibles légitimes ». Or, Al-Annabi avait déjà été cité dans le passé pour prendre la succession d'Abdelmalek Droukdel lors de ce qui était apparu comme une sorte de révolution de palais. Depuis, on n'en n'avait plus entendu parler. Sa réapparition publique est donc étonnante mais peut-être significative[2].
L'autre fait surprenant est que la menace d'Al-Annabi a été rapidement suivie d'effets : l'attentat contre l'ambassade de France en Libye[3], puis, surtout, l'opération terroriste contre le site d'Areva à Arlit (Niger), conjointement à celle dirigée contre une caserne nigérienne à Agadez. Bien que peu de détails soient publiés concernant ces actions, il semble qu'elles ont été minutieusement préparées, les terroristes parvenant à s'introduire à l'intérieur même des sites protégés, peut-être grâce à des complicités internes. Selon les autorités nigériennes, 8 assaillants ont été tués à Agadez[4] et 2 kamikazes ont trouvé la mort sur le site d'Arlit. Les pertes nigériennes sont lourdes : au moins 24 morts[5] à Agadez et un mort et 14 blessés à Arlit ! Information peu relayée, du matériel sensible a été touché à Arlit, puisque le site a cessé de fonctionner pendant plusieurs jours. A l'évidence, il s'agit d'une seule et même opération menée très professionnellement, un peu à la manière de celle d'In Amenas, le 16 janvier dernier, excepté le fait que le but n'était pas de prendre des otages mais de causer un maximum de pertes à l'adversaire.
Mokhtar Belmokhtar à la manœuvre ?
Mokhtar Belmokhtar (MBM) a officiellement quitté AQMI en décembre 2012 pour se rapprocher du MUJAO tout en rebaptisant sa katiba Al Mouakaoun be dam : « Les signataires par le sang ». Toutefois, le commandement central d'AQMI avait annoncé, en octobre de la même année, que MBM avait été proprement « viré ». En fait, cet électron libre faisait depuis des années ce qui lui plaisait, sans en référer à Abdelmalek Droukdel. Ce dernier était bien obligé de « faire avec » car Belmokhtar était le grand logisticien d'AQMI au Sahel, fournissant armes, véhicules, pétrole, vivres, contre monnaie sonnante et trébuchante[6]. Par contre, Abou Zeid qui avait été délégué dans la région par Droukdel – certainement avec une sérieuse arrière pensée -, était considéré comme le grand rival de MBM au Sahel. Sa disparition, confirmée le 23 mars 2013 par Paris, ne pouvait donc vraiment le chagriner bien qu'il ait choisi d'appeler l'action lancée au Nord du Niger le 24 mai « opération Abou Zeid ». Cela peut toujours lui permettre de récupérer des djihadistes de la katiba du défunt chef régional d'AQMI.
C'est un des porte-parole de MBM, El-Hassem Ould Khil – alias Jouleibib – qui a assuré que « c'est Belmokhtar qui a supervisé lui-même les plans d'opération des attaques ». En fait, MBM, qui avait ses entrées en Libye depuis le début de la révolution, avait regroupé ses forces dans le Nord-libyen bien avant l'intervention française. Lui, il s'était rendu compte que l'aventure lancée par la branche sahélienne d'AQMI, sans doute avec l'approbation de Droukdel, risquait de mal tourner. Cela pourrait expliquer ses réticences puis sa « démission ».
Il a donc préparé tranquillement son premier coup de force, celui dirigé contre le site gazier algérien d'In Amenas en janvier 2013, depuis le sol libyen. Son objectif consistait à s'affirmer comme un élément incontournable du djihad dans la zone, reprenant à son compte ce que le « commandement central » d'AQMI n'était plus capable de faire : des action d'éclat. D'ailleurs, son objectif avait été clairement annoncé dès fin 2012 par Oumar Ould Hamaha, un de ses adjoints qui a également appartenu à Ansar Dine puis au MUJAO : les troupes de MBM seraient désormais actives sur l'ensemble du Sahara, notamment au Niger, au Tchad et au Burkina Faso.
Depuis, il semble que MBL agit toujours depuis les bases arrière qu'il a su se créer en Libye avec la protection des tribus toubous, ce qui constitue un exploit : ces dernières s'opposant traditionnellement à leurs consoeurs « arabes ». Mais MBM a prouvé par le passé qu'il est un fin négociateur qui n'hésite pas à mettre la main à ce qui est essentiel : le porte-monnaie. En fait, il trouve dans cette région aride tout ce qu'il y cherche :
- une zone sûre où, pour le moment, personne n'ose s'aventurer, et surtout pas les autorités libyennes de Tripoli ;
- un lieu de regroupement pour ses fidèles, mais aussi pour les volontaires étrangers qui commencent à arriver[7] ;
- un arsenal important qui lui permet, non seulement d'approvisionner ses forces, mais aussi d'en vendre au plus offrant ;
- un lieu de passage privilégié des trafics traditionnels : drogue, armes, êtres humains et etc… activités ayant été bouleversées suite à l'intervention au Nord-Mali.
En résumé, il a des hommes, des armes et l'argent rentre. Il peut donc envisager sereinement l'avenir, menaçant désormais personnellement la France et les pays engagés militairement au Mali, « même au nom du maintien de la paix[8] », d'actions offensives au Niger. Mais celles-ci peuvent très bien avoir lieu ailleurs car MBM connaît le Sahel comme sa poche, depuis la frontière est du Sénégal jusqu'au Tchad, en raison de ses activités passées de contrebandier. De plus, il ne faut pas oublier que bien qu'il soit un bandit de grands chemins, MBM a toujours entretenu des contacts avec le commandement central d'Al-Qaida basé au Pakistan et qu'il a fait allégeance à Al-Zawahiri en se mettant à sa disposition. Ce dernier, qui a nommément désigné la France comme un des ennemis prioritaires de l'islam, a su trouver en MBM l'homme qui pourrait combler ses espérances. C'est d'ailleurs vraisemblablement pour cette raison que le centre de gravité de la menace représentée par Al-Qaida en Afrique du Nord s'est déplacé de l'Algérie au sud de la Libye. MBM en est le nouveau chef, même si son organisation ne porte pas aujourd'hui le nom d'AQMI !
- [1] En effet, il n'est pas sûr que son unité ait eu les moyens de se reconstituer après la mort de son chef, d'autant que de nombreuses pertes auraient été enregistrées dans ses rangs. Il est possible que ses membres se soient dispersés dans la nature, rejoignant, quand ils le pouvaient, d'autres groupes encore opérationnels.
- [2] A moins que Droukdel ne donne un signe de vie dans un proche avenir.
- [3] Certes qui a eu lieu un jour avant ladite déclaration, mais il faut compter avec les délais de transmissions des messages d'AQMI aux médias.
- [4] On ne sait pas encore si ces pertes incluent les 3 tués lors de l'assaut donné le vendredi 24 mai par les forces nigériennes, appuyées par des membres des forces spéciales françaises.
- [5] Peut-être 28 si les 3 otages et une victime collatérale annoncés tués le 24 mai, n'ont pas été comptabilisés.
- [6] Essentiellement obtenue des rançons versées pour la libération des otages. MBM complétait cela par les juteux trafics auxquels il pouvait se livrer à travers le Sahel.
- [7] Il convient de se rappeler des djihadistes canadiens tués à In Anemas.
- [8] Ces derniers « goûteront à la saveur de la mort ».